Picasso

Sa passion Carmen

Par Bérénice Geoffroy-Schneiter · L'ŒIL

Le 23 juillet 2007 - 382 mots

 Comment surprendre encore le public avec une énième exposition consacrée à Picasso ? « En le regardant comme un artiste contemporain », répond Anne Baldassari, directrice du musée Picasso à Paris, qui interroge avec beaucoup de pertinence les rapports que le maître espagnol entretint tout au long de sa vie avec le mythe de Carmen. Sur fond d’hispanisme triomphant (Prosper Mérimée a publié sa nouvelle éponyme en 1845, Georges Bizet composé son opéra funèbre en 1873-1874), le jeune peintre exilé à Paris s’approprie à son tour la figure de l’héroïne tragique. Sous son pinceau amoureux ou rageur, Carmen devient tour à tour magicienne ou sorcière : son nom même n’est-il pas la transcription du mot « charme » ?
Rien de moins « folklorique » cependant dans la démarche picassienne. Si le peintre puise son inspiration dans les cartes postales et autres ex-voto appartenant à la culture populaire, c’est pour mieux revivifier sa mythologie personnelle. Refusant l’asservissement sexuel à un seul partenaire, préférant « mourir que céder », Carmen la prostituée, la gitane, la bohémienne atteint le statut d’icône et de martyre. Mieux ! Chez Picasso, elle se hisse au rang de modèle absolu. Sacrifiant tout pour sa liberté, elle devient l’incarnation même de la peinture, le double du peintre qui n’hésite pas à se travestir en elle. Pour preuve, cette pépite rare qui clôt l’exposition : les vingt-trois secondes du film La Garoupe tourné en 1937 par Man Ray et Dora Maar, où l’on voit Picasso coiffé d’une mantille de fortune adresser une œillade assassine à la caméra en allumant une Gitane…
Remarquable par l’intelligence du propos, l’exposition est aussi un régal pour l’œil. Scènes de tauromachie d’un érotisme furieux (au sacrifice rituel de l’animal sauvage se superpose celui de la femme fatale), admirables portraits « carméniens » se jouant des archétypes d’une Espagne de fantaisie (mantilles, châles, éventails et grands peignes constituent autant de jeux visuels pour piéger le spectateur) mais aussi dessins, gravures, photographies et documents d’archives proposent une relecture décapante du processus créateur de Picasso. « Il me provoque, il me sidère », nous confiait Anne Baldassari à propos de l’artiste. Aux antipodes d’une approche biographique ou patrimoniale, cette manifestation a bel et bien des allures de credo. Olé !

« Picasso Carmen, Sol y Ombra »

Musée national Picasso, hôtel Salé, 5, rue de Thorigny, Paris IIIe, tél. 01 42 71 25 21, www.musee-picasso.fr, jusqu’au 24 juin 2007.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°592 du 1 juin 2007, avec le titre suivant : Picasso

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