Technique

Parcours grisant

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 9 avril 2008 - 776 mots

À travers une exposition aussi érudite que didactique, le Musée des Augustins à Toulouse rend justice à un genre trop souvent ignoré de l’histoire de l’art : la grisaille.

TOULOUSE - « La place de la grisaille dans la théorie de l’art, l’histoire de l’art et l’imaginaire des amateurs est inversement proportionnelle à son omniprésence dans le décor mural, le vitrail, la peinture de chevalet, le dessin et les arts décoratifs. » Fort de ce constat, Axel Hémery, conservateur au Musée des Augustins, à Toulouse, a réuni une soixantaine de tableaux du XVIe siècle au XIXe siècle pour rendre justice à cette pratique trop souvent ignorée des publications et expositions : la grisaille, encore appelée « camaïeu » ou « monochrome ». Comme le souligne le commissaire, la grisaille est une « déclaration d’intention » qui permet à l’artiste de se placer sur le même registre que la sculpture, le dessin, la gravure, l’architecture, voire, à partir de la fin du XIXe siècle, la photographie. De l’imitation en trompe l’œil au chef-d’œuvre abouti en passant par l’esquisse et le ricordo (copie d’une œuvre célèbre), elle offre une multitude de possibilités de techniques et de styles. Démonstration au cœur de l’ancien couvent à travers un parcours à la fois érudit et didactique servi par des cartels clairs, un accrochage subtil et un juste équilibre quant au nombre d’œuvres présentées. Un événement puisque seulement deux expositions ont été consacrées à ce thème jusqu’ici, l’une organisée à Houston (Texas) en 1973, la seconde ayant eu lieu à Paris en 1980 au Musée d’art et d’essai du Palais de Tokyo. Le catalogue de la manifestation représente, quant à lui, le seul ouvrage de référence sur le sujet.
Apparue au XVe siècle sur les volets extérieurs des retables flamands et hollandais, la grisaille fait, dès la fin du XVIe siècle, la joie de certains collectionneurs pris de passion pour cette technique où l’artiste pouvait laisser libre cours à sa spontanéité. C’est à cette époque que remonte l’exposition, avec Le Songe de Joseph, de Francesco Bacchiacca (1494-1557), conservé au château de Dieppe, probable carton préparatoire à un décor. Comme l’illustre la Prédication de saint Denis, par Jean-Baptiste Deshays (1729-1765), la grisaille ne correspond pas à une gamme chromatique uniforme. La brunaille en est une variante et les toiles peuvent aussi adopter différentes nuances de gris, blanc ou brun, parfois rehaussées de bleu, jaune ou rouge. Dans ce voyage initiatique à l’art du monochrome, promenant le visiteur des Pays-Bas à l’Italie, il est des œuvres inédites, à l’instar de la Vierge à l’Enfant avec saint Michel et sainte Catherine, de Pietro Sorri (collection particulière), et du Christ mort d’Antoine Dieu (1662-1727). Ce tableau fondamental pour la connaissance de son œuvre est en cours d’acquisition par le Musée des Augustins. Autres œuvres récemment entrées dans les collections publiques françaises : l’Héraclite de Théodule Ribot, belle découverte acquise par le Musée des beaux-arts d’Amiens, et le Pyrrhus enfant à la cour du roi Glaucias, signé Hyacinthe Collin de Vermont. Sa technique de grisaille n’est pas sans rappeler les œuvres préparatoires de François Boucher, comme en témoigne l’esquisse ovale ici présentée, L’Enlèvement de Proserpine. Alain Daguerre de Hureaux, qui vient tout juste de quitter son poste de directeur du Musée des Augustins, regrettait l’absence de la réplique de la Grande Odalisque d’Ingres, conservée au Metropolitan Museum of Art à New York et trop fragile pour voyager, de même que les dessins de Théodore Chassériau (collection Musée du Louvre) évoquant le décor (en partie détruit) du bâtiment de la Cour des comptes. Il peut se consoler avec le splendide Massacre des Innocents de Jacques Stella, « l’une des plus belles grisailles de tous les temps », note Axel Hémery. Citons encore cette Scène d’accouchement particulièrement intense que nous décrit Jean-Baptiste Carpeaux ou l’esquisse ovale de Benjamin-Constant, Glorification de la musique, une vision mystérieuse dans un esprit symboliste. C’est à Toulouse-Lautrec que revient le mot de la fin avec une toile inachevée, Peuplade primitive. « La limite chronologique s’imposait d’elle-même. Le monochrome étant l’une des formes artistiques les plus importantes de l’abstraction au XXe siècle, il s’agit d’un nouveau sujet », conclut Axel Hémery.
Loin de l’exposition-spectacle, la manifestation toulousaine, exigeante et passionnante, bat en brèche l’image négative du terme « grisaille » et rend ses lettres de noblesse à la technique de la nuance et de la subtilité.

PAS LA COULEUR, RIEN QUE LA NUANCE !, TROMPE-L’ŒIL ET GRISAILLES DE RUBENS À TOULOUSE-LAUTREC

Jusqu’au 15 juin, Musée des Augustins, 21, rue de Metz, 31000 Toulouse, tél. 05 61 22 21 82, www.augustins.org, tlj sauf le 1er mai, 10h-18h et 21h le mercredi.
Catalogue, 182 p., 35 euros.

RIEN QUE LA NUANCE

- Nombre d’œuvres : 62
- Nombre de salles : 7
- Commissaire : Axel Hémery, conservateur chargé des peintures au Musée des Augustins

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°279 du 11 avril 2008, avec le titre suivant : Parcours grisant

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