Art ancien

XVIIE SIÈCLE

Lumière sur le seicento vénitien

Par Francine Guillou · Le Journal des Arts

Le 5 septembre 2018 - 770 mots

Grâce à un accrochage judicieux et un choix d’œuvres exemplaire, le Palais Fesch plonge avec délectation dans le XVIIe siècle vénitien. Une période méconnue, complexe, intense et cosmopolite.

Ajaccio.« Le XVIIe siècle est un siècle impossible pour Venise, coincé entre le XVIe siècle de Tintoret et Véronèse, et le XVIIIe siècle de Tiepolo », explique d’entrée Philippe Costamagna, directeur du Palais Fesch qui accueille l’exposition « Rencontres à Venise, étrangers et Vénitiens dans l’art du XVIIe siècle » cet été à Ajaccio. Après les seicento florentin et lombard, le Palais Fesch continue son exploration des foyers artistiques italiens au XVIIe siècle, convoquant les œuvres les plus significatives des deux côtés des Alpes dans un parcours haut en couleur et en émotions pour battre en brèche l’idée que le Seicento vénitien ne serait qu’un siècle de transition peuplé d’artistes mineurs.

Les deux commissaires italiennes de l’exposition, Linda Borean et Stefania Mason, assistées d’Andrea Bacchi pour la sculpture, ont conçu un parcours alternant thèmes et chronologie, peintures et sculptures, climax et sérénité, à l’image d’une sonate d’Arcangelo Corelli, dont les mouvements sont diffusés dans les salles de l’exposition.

Celle-ci débute avec les trois coups frappés par un trio : le Romain Domenico Fetti et sa célèbre Mélancolie (après 1618, Paris Musée du Louvre), l’Allemand Johann Liss et sa Vision de saint Jérôme (vers 1628, Venise, église de San Nicola da Tolentino) et le Florentin Sebastiano Mazzoni avec une étrange Artémise buvant les cendres de son époux Mausole (vers 1660, Venise, coll. part). Au centre de ce triptyque improvisé le regard se perd, entre les touches lumineuses de la Mélancolie, jeune femme agenouillée telle une Madeleine repentante, les détails intimes et poétiques d’Artémise, héroïne de la fidélité, et les accents baroques de la figure tourmentée de saint Jérôme. Tout ici fera écho plus tard dans le parcours : la commande religieuse et le goût du profane, le baroque exalté et l’intériorité intellectualisée, les grands formats et ceux plus intimes. Mais l’instant est à la délectation de trois morceaux de peintures, si différents et pourtant rattachés à cette lagune qui attire italiens et étrangers.

La salle suivante ne redescend pas en intensité : intitulée « La mort viendra » : homicides, suicides et martyrs », elle décline le goût des Vénitiens pour le macabre et l’iconographie de la mort. Héros, martyrs et héroïnes célèbres sont représentés, passant de vie à trépas, dans un déluge d’effets théâtraux et dramatiques. « Au XVIIe siècle, les hommes vivent chaque jour avec la pensée de la fin, sans l’exorciser ni la retarder. Les raisons en sont la succession incessante de guerres (…), d’épidémies ou que les exécutions capitales en public », rappelle Linda Borean dans le catalogue de l’exposition. Le Suicide de Caton par Giambattista Langetti (vers 1622, Venise, coll. Pierluigi Pizzi), naturaliste monumental, centré sur la blessure mortelle du philosophe, a une portée édificatrice. La Mort de Cléopâtre par Sebastiano Mazzoni (vers 1665, Rovigo, Pinacoteca dell’Academia dei Concordi), choisie comme couverture de l’exposition, est d’une ambition plus intime. Oscillant entre le grotesque et la sensualité, elle atteste de l’originalité de son auteur.

Par un jeu de perspective, le très beau David avec la tête de Goliath de Domenico Fetti (1617, Venise, Gallerie dell’Academia) nous entraîne doucement vers la salle suivante et le goût des collectionneurs privés pour de nouveaux thèmes et les mutations iconographiques. Ainsi, le Vénitien Giulio Carpioni préfère représenter un épisode peu connu de l’histoire de Narcisse, plutôt que de peindre le jeune homme se mirant dans l’eau. De passage à Venise, Pietro Ricci, dans LaLutte de Jacob et de l’ange (vers 1660, Avignon, Musée Calvet) s’inspire sans doute du caravagisme élégant du Français Nicolas Régnier, installé avec succès sur la lagune dès 1626.

Dans la salle suivante, plus petite, retentissent les notes de Couperin et Vivaldi, de la musique de chambre pour évoquer le succès des allégories sculptées et peintes chez les collectionneurs vénitiens. De Giulio Carpioni assisté du Flamand Jacobus Victor, deux allégories, l’une conservée dans un musée à Vicence, l’autre dans une collection particulière parisienne, sont pour la première fois réunies. Probablement conçues comme des pendants vers 1660, l’allégorie de la fragilité et l’allégorie du goût se toisent, angelots très expressifs à l’iconographie originale. De la galerie de portraits vénitiens, on retiendra l’étonnant Autoportrait sous les traits de la stupeur de Pietro Bellotti (1655, Venise, Gallerie dell’Academia) réinventant les poncifs de l’art du portrait renaissant.

En fin de parcours, la figure de Sebastiano Ricci fait office de passeur vers le siècle suivant. Désormais, les Vénitiens s’exporteront, à l’image de Ricci reçu à l’Académie royale de peinture et de sculpture à Paris en 1718. La voie est toute tracée pour Giambattista Tiepolo.

Rencontres à Venise, étrangers et Vénitiens dans l’art du XVIIe siècle,
jusqu’au 1er octobre, Palais Fesch-Musée des beaux-arts, 50-52 rue Cardinal Fesch, 20000 Ajaccio.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°506 du 7 septembre 2018, avec le titre suivant : Lumière sur le seicento vénitien

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