Rétrospective

L’ode aux formes organiques d’Aldo Bakker

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 22 juin 2016 - 737 mots

Les créations polissées du designer néerlandais défilent au Grand-Hornu,
dégageant un mystère où la forme prend le pas sur la fonction.

HORNU - L’été est une bonne occasion pour une découverte, sinon une nouvelle visite, du majestueux site du Grand-Hornu, non loin de Mons, en Belgique, ancienne houillère du XIXe siècle métamorphosée, depuis 2002, en vaste pôle culturel et muséal. Le Centre d’innovation et de design y a ainsi invité le designer néerlandais Aldo Bakker, 45 ans, lequel déploie une vaste exposition monographique intitulée « Pause ». Une vue d’ensemble d’objets, en quelque sorte sa première rétrospective.

Elle est conséquente, puisqu’elle rassemble une cinquantaine de pièces. Pour déployer ses meubles et objets, dont nombre de petites dimensions et à l’apparence fragile trompeuse, dans l’oblong et monumental espace du Magasin aux foins (1 000 m2), le designer a construit deux podiums bas et parallèles, s’étirant sur toute la longueur de la salle sous un éclairage on ne peut plus tamisé, renforçant du coup le côté théâtral de la scénographie. L’ensemble des créations y est réparti de façon hétéroclite. On dirait une flopée d’escargots en vadrouille après un épisode pluvieux ou, en version surréaliste, les « montres molles » de ce fameux tableau de Dali La Persistance de la mémoire. Les silhouettes sont souples et douces, les lignes organiques à souhait.

Le matériau au service de la forme
La forme, de fait, prend aisément le pas sur l’usage, d’ailleurs le designer ne s’en cache pas : « Je commence toujours par la forme, explique Aldo Bakker. Si un objet est trop directement lié à une fonctionnalité, il ne “perdure” pas longtemps. Certes, un objet s’utilise par rapport à une fonction précise, mais pas uniquement. On peut aussi simplement aimer le toucher ou le contempler. C’est pourquoi je ne veux pas que mes objets se “consument” d’un seul coup, mais qu’ils conservent, au contraire, une part d’énigme. Effectivement, les objets ne sont pas vivants, en revanche, ils peuvent avoir leur propre vie. Il m’arrive parfois de les appeler les “êtres” ou les “créatures”. » Des créatures qui, ici, s’exhibent dans leur plus simple appareil, sans cartel. Autrement dit, le visiteur est invité à se concentrer sur l’objet en tant que tel, un point c’est tout. S’il le souhaite, une brochure lui fournira néanmoins nom, date, matériau, éditeur et autre texte explicatif de chaque pièce.

La production d’Aldo Bakker couvre un large éventail : des créations uniques aux éditions limitées, en passant par les commandes pour des marques aussi renommées que Georg Jensen, au Danemark, ou Puiforcat et Sèvres, en France. La carafe Pitcher (Georg Jensen) arbore une fluidité extrême, magnifiée par l’acier inoxydable poli miroir à souhait. Le tabouret Tri Angle (Karakter), aux angles ultra-aigus, est constitué de douze éléments triangulaires en pin, taillés au scalpel et assemblés tel un puzzle. Que ce soit la porcelaine, l’argent ou la fonte d’acier, la manière dont le designer sublime le matériau est stupéfiante. Il ne faut pas chercher loin pour trouver l’explication : au lieu d’un parcours « classique » en école d’art, le jeune homme, alors âgé de 20 ans, a rejoint l’atelier de l’orfèvre Willem Noyons, à Utrecht, où il passe huit ans avant de se lancer en solo, en 1999. D’où cet art appuyé du « polissage », au sens propre comme au figuré. Bakker joue aussi à l’envi de l’illusion. Le siège en érable Swing (Karakter) paraît d’une grande fragilité, or il supporte le poids d’un humain. La table basse Le Lac (Particles Gallery) arbore, elle, à la fois une transparence et une profondeur égales à l’eau, grâce à cette merveilleuse laque Urushi couleur vert océan, dont elle est faite.

L’intriguant objet baptisé Jug Cup qui, de prime abord, ressemble à un gastéropode ventru est en réalité une carafe et son gobelet en porcelaine anthracite, la première – qui nécessitera d’être retournée pour être utilisée de manière idoine – avalant littéralement le second pour ne former qu’une seule et même entité. Le mystère qui entoure, parfois, les pièces d’Aldo Bakker apporte assurément un brin de poésie aux habituels wagons d’objets dessinés par les partisans du WYSIWYG (What You See Is What You Get), soit, en français, « ce que vous voyez est ce que vous obtenez ». Et ça fait du bien !

PAUSE, AN OVERVIEW OF OBJECTS

Commissaire de l’exposition : Aldo Bakker, designer
Scénographie : Aldo Bakker et Tijmen Smeulders, designer
Nombre de pièces : une cinquantaine

PAUSE, AN OVERVIEW OF OBJECTS

jusqu’au 14 août, au Centre d’innovation et de design, site du Grand-Hornu, 82, rue Sainte-Louise, 7301 Hornu (Belgique), tel. 32 (0)65 65 21 21 ou www.cid-grand-hornu.be

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°460 du 24 juin 2016, avec le titre suivant : L’ode aux formes organiques d’Aldo Bakker

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