Art ancien

Arts océaniens

L’océan pour horizon

Par Éric Tariant · Le Journal des Arts

Le 18 octobre 2018 - 687 mots

LONDRES / ROYAUME-UNI

La Royal Academy of Arts a été fondée en 1768, l’année des premières expéditions du capitaine Cook dans le Pacifique. L’institution londonienne célèbre cet anniversaire en rendant hommage aux arts de l’Océanie.

Londres. À l’entrée de la Burlington House, une impressionnante vague menace de déferler sur le visiteur. Ce tsunami bleu marine, un textile brodé de onze mètres de long, qui occupe le centre d’une pièce octogonale, est l’œuvre de Mata Aho, un collectif constitué de quatre femmes maories. D’emblée, l’accent a été mis par les commissaires d’exposition Nicholas Thomas, directeur du Musée d’archéologie et d’anthropologie de l’université de Cambridge, et Peter Brunt, maître de conférences à l’université Victoria de Wellington, sur les défis du changement climatique qui menace les habitants des milliers d’îles composant l’Océanie. Autre avertissement, celui lancé sur écran vidéo par Kathy Jetnil-Kijiner, qui habite les îles Marshall. « Dis-leur comment nous avons vu les eaux monter, inonder nos cimetières et venir s’écraser sur nos maisons. Dis-leur que nous avons peur, que nous ne voulons pas quitter nos îles, car nous ne sommes rien sans elles », susurre la poétesse et activiste.

« Oceania » célèbre l’anniversaire de la première expédition lancée dans le Pacifique par James Cook. C’était en 1768 au départ de Plymouth, il y a deux cent cinquante ans. L’année 1768 est aussi celle de la fondation de la Royal Academy of Arts. Pour l’occasion, l’institution de Piccadilly, épaulée par le Musée du quai Branly-Jacques Chirac, co-organisateur de l’exposition, a réuni 200 pièces historiques dont certaines ont plus de 500 ans ; elles sont confrontées à une dizaine d’œuvres contemporaines.

La plupart des pièces, issues des plus grands musées européens, américains et océaniens, parmi lesquels le musée de la Nouvelle-Zélande Te Papa Tongarewa, mais aussi des institutions, sont d’une grande beauté et magnifiquement mises en scène à l’aide d’éclairages tamisés.

Ailerons et queues de requin

L’océan est le fil directeur de ce périple, le nez au vent, à la découverte de l’art de ces îles qui occupent près du tiers de la surface de la planète. Un océan sur lequel les autochtones glissent, empruntant des canoës longilignes qui rappellent des sculptures de Brancusi. Comme cette pièce de près de 6 mètres de long originaire des îles Bismarck de Papouasie-Nouvelle-Guinée, desquelles émergent deux graciles pointes en bois évoquant des ailerons et queues de requin. L’océan sur lequel on se propulse à l’aide de ces pagaies, étonnantes pièces collectées en 1769 par le capitaine Cook. Et sur lequel on s’oriente grâce à d’ingénieuses cartes de navigation faites de morceaux de bois effilés, de fibres et de coquilles d’escargot. « L’océan Pacifique est un espace sacré. Après un enterrement, une naissance ou l’intronisation d’un chef suprême, les gens avaient l’habitude de plonger dans l’océan pour se purifier », observe l’anthropologue et environnementaliste néo-zélandaise Anne Salmond.

Dans ces sociétés, il était d’usage de réaliser des rituels pour apaiser les esprits et garantir le succès des expéditions de chasse et de pêche. L’Océanie est peuplée d’une multitude d’ancêtres, de dieux et d’esprits représentés sous la forme de sculptures, ou figurés sur des peintures et tissages. La salle consacrée à ces dieux et déités est admirable. Une déesse de l’archipel de la Société, faite de bois et de fibres de noix de coco, voisine avec un dieu à deux têtes de Tahiti, avec une austère déité masculine tino aitu des îles Carolines et un massif moai en basalte de plus de 2 mètres de hauteur, rapporté en 1868 de l’île de Pâques.

Sur ces îles, les liens se nouent à l’occasion de dons (colliers, pendentifs, textiles) qui obligent les personnes qui les ont reçus à donner en retour. C’est ce que l’anthropologue Marcel Mauss appelait le « contre-don ». Ici, comme dans tout le monde vivant, plus le milieu est hostile et pauvre, plus l’entraide se développe. Plus il est abondant, plus la compétition sévit. L’exposition s’achève sur une vision plus sombre. Celle du peintre John Pule qui représente dans un grand polyptyque (To All New Arrivants) les soubresauts de la « tempête » coloniale et néocoloniale, et les secousses induites par le changement climatique dans un monde où migrants, réfugiés et exilés luttent pour leur survie.

 

Oceania,
jusqu’au 10 décembre, Royal Academy of Arts, Burlington House, Piccadilly, Mayfair, Londres.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°509 du 19 octobre 2018, avec le titre suivant : L’océan pour horizon

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