Art ancien

Collection Al Thani à l’Hôtel de la Marine

Les trésors de la Ca’ d’Oro à Paris

Par Isabelle Manca-Kunert · L'ŒIL

Le 3 janvier 2023 - 811 mots

PARIS

Le plus luxueux des palais bordant le Grand Canal, à Venise, qui a inspiré l’écrivain Gabriele D’Annunzio, présente une partie de ses chefs-d’œuvre de l’art italien. Un événement.

Mantegna (1431-1506), Saint Sébastien, 1490, 213 × 95 cm, Tempera sur toile, collection de la Ca' d'Oro, Venise. Le chef-d'œuvre de Mantegna est exceptionnellement exposé à l'Hôtel de la Marine à Paris, à quelques encâblures de son Saint Sébastien d'Aigueperse appartenant au Musée du Louvre. © Photo Ludovic Sanejouand, 2023
Vu de l'exposition « Ca' d'Oro : Chefs-d'œuvre de la Renaissance à Venise » à l'Hôtel de la Marine. Au centre : le chef-d'œuvre d'Andrea Mantegna (1431-1506), Saint Sébastien, 1490, 213 × 95 cm, Tempera sur toile.
© Photo Ludovic Sanejouand, 2023

C’est la quintessence de la Sérénissime qui s’invite à Paris ! Tout simplement le plus luxueux des palais bordant le Grand Canal. Une icône dont le nom évoque à lui seul la beauté et la préciosité : la Ca’ d’Oro, c’est-à-dire la maison dorée, qui souffre paradoxalement d’un déficit de notoriété. Les innombrables touristes qui défilent sans discontinuer devant la magique dentelle de pierre que constitue cette demeure gothique ignorent en effet pour la majorité d’entre eux que le palais renferme un musée aussi riche qu’atypique. Un secret bien gardé en raison de l’implantation urbaine du palais, dont l’entrée est nichée dans une ruelle étroite et discrète. Peu accessible et visible, le musée qui aligne pourtant les plus grands noms de l’art italien est ainsi semblable à une belle au bois dormant. Pour changer la donne, ses propriétaires ont décidé d’engager d’ambitieux travaux, qui constituent l’occasion rêvée de faire voyager ses pépites afin de les faire connaître. Logiquement, c’est la collection Al Thani, nouveau temple parisien des grands collectionneurs, qui a l’honneur d’accueillir ces chefs-d’œuvre. Logiquement car, avant d’être un musée d’État, la Ca’ d’Oro est le fruit d’une histoire d’amour entre un immense collectionneur, un monument et des collections inclassables. Difficile à croire aujourd’hui tant le lieu est célèbre, mais la Ca’ d’Oro revient en effet de loin.

Une vie passée à rendre son lustre au palais

La demeure patricienne élevée à l’aube de la Renaissance pour une puissante famille de marchands a subi bien des malheurs au fil des ans : morcelée, transformée et même abandonnée. À la fin du XIXe siècle, elle menace carrément ruine quand un philanthrope tombe sous son charme et décide de la sauver. Le baron Giorgio Franchetti a littéralement le coup de foudre pour ce bâtiment. Il le rachète en 1894 et consacre sa vie et sa fortune à lui rendre son lustre d’antan. L’homme est d’ailleurs si attaché au monument qu’il demande à ce que ses cendres soient enterrées dans un fût de colonne érigé dans la cour ! Malgré son attachement viscéral au bâtiment, le bienfaiteur n’y élit pas domicile mais, au contraire, il le fait restaurer pour lui offrir une seconde vie grâce à un nouveau destin muséal. Contrairement à la mode de l’époque, il n’imagine toutefois pas un musée à la gloire de sa propre collection. S’il décide de donner ses plus beaux trésors à l’État en même temps que le palais, il négocie en effet pour que le site présente aussi des œuvres déposées par d’autres institutions muséales. Ces dernières ont comme dénominateur commun de provenir des monuments détruits ou démantelés, essentiellement des sculptures et des reliefs. Chose rarissime pour l’époque, il travaille ainsi main dans la main avec des responsables d’institutions, afin de créer un musée qui raconterait en filigrane l’histoire de la cité de la lagune à travers son patrimoine lacunaire. Visionnaire, le baron façonne ainsi un lieu de mémoire étonnant où sont exposés avec le même soin aussi bien des stars de la peinture vénitienne que des sculpteurs remarquables mais nettement moins célèbres. Visiter la Ca’ d’Oro, c’est ainsi découvrir un pan entier de l’art vénitien : les reliefs mouvementés de Riccio, les marbres onctueux de Sansovino ou encore les portraits plus vrais que nature de Bergamasco.

Mantegna, "Saint Sébastien"

C’est ce qu’on appelle un coup de maître. En 1893, le baron Franchetti s’offre l’ultime chef-d’œuvre de Mantegna à la barbe des musées. Icône de la collection, l’impressionnante peinture est alors installée dans une chapelle de marbre érigée à sa gloire. L’œuvre saisissante par sa composition et son expressivité a, depuis, fasciné des générations de visiteurs, à commencer par l’écrivain Gabriele D’Annunzio qui narre dans une nouvelle la puissante expérience esthétique vécue face à ce chef-d’œuvre.

Tullio Lombardo, "Double portrait"

Issu d’une prestigieuse lignée de sculpteurs et d’architectes vénitiens, Tullio Lombardo s’est distingué en inventant un genre nouveau à mi-chemin entre le double portrait et l’allégorie. Ses hauts-reliefs en marbre brouillent les pistes en mêlant des détails contemporains à des costumes à l’antique et des éléments idéalisés. Le regard mélancolique et le cadrage évoquent un fragment de monument funéraire, tandis que les bouches entrouvertes et la poitrine dévoilée confèrent un caractère très vivant.

L’Antico, "Apollon du Belvédère"

Le surnom de Bonacolsi en dit long sur la réputation dont il jouissait de son vivant. Ce sculpteur actif à la cour de Mantoue s’est en effet fait une spécialité des petits bronzes sombres rehaussés de détails dorés. Il réinterprète dans ce style caractéristique les sujets les plus fameux de l’Antiquité, dont L’Apollon du Belvédère, l’étalon de beauté au XVIe siècle. Si son œuvre est aujourd’hui peu connue, ses statuettes au modelé raffiné étaient considérées comme les fleurons des cabinets humanistes.

« Ca’ d’Oro. Chefs-d’œuvre de la Renaissance à Venise »,
jusqu’au 7 mai 2023. Collection Al Thani à l’hôtel de la Marine, 2, place de la Concorde, Paris-8e. Tous les jours de 10 h 30 à 19 h, le vendredi de 10 h 30 à 21 h 30. Tarif : 11 €. www.hotel-de-la-marine.paris

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°761 du 1 janvier 2023, avec le titre suivant : Les trésors de la Ca’ d’Oro à Paris

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