Les nouvelles Schéhérazade

Le Muséum d’histoire naturelle de Lyon explore le mythe du harem

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 10 octobre 2003 - 659 mots

À travers 130 œuvres d’artistes occidentaux et orientaux, le Muséum d’histoire naturelle de Lyon revisite le mythe du harem. Aux clichés de femmes langoureuses et passives diffusés par Boucher, Gérôme, Matisse ou Picasso, répondent les visions des anciens maîtres perses, turcs et indiens.
Mais pareil sujet méritait une scénographie un peu moins sage.

 LYON - Conçue par Fatima Mernissi, auteur du livre Le Harem et l’Occident, et produite par le Centre de culture contemporaine de Barcelone, l’exposition présentée au Muséum d’histoire naturelle de Lyon explore le mythe du harem dans une mise en perspective de l’imaginaire occidental des XIXe et XXe siècles et de ses visions orientales. Aux femmes passives et offertes de Boucher (L’Odalisque, 1745), Gérôme (Femmes au bain, 1898), Jules Migonney (Le Bain Maure, 1911) ou Matisse (L’Odalisque au sarouel rouge, 1921), semblent répondre les scènes débridées de Couple d’amoureux (1597) et d’Un rendez-vous galant dans le harem (1590), deux miniatures de l’école moghole (Inde).
Dans les œuvres occidentales, le harem est une fantaisie intemporelle où la femme, calme et statique, attend. Les miniatures orientales s’attachent, elles, à décrire le quotidien de ces femmes exclues de la vie publique et soulignent leur rôle actif dans les jeux de l’amour. “Ce qui me plaît le plus dans cette exposition, c’est qu’elle ne prétend donner aucune leçon, aucune réponse : tout juste aide-t-elle à assembler les pièces d’un puzzle. En outre, elle rompt avec le stéréotype selon lequel tout ce qui est bon (la démocratie, les droits de la femme, etc.) est occidental et tout ce qui est mauvais (le mépris pour la femme, les inégalités entre les sexes, etc.), oriental”, précise dans le catalogue Fatima Mernissi.
Par toute une série de confrontations, la manifestation dissèque les clichés véhiculés en Occident sur le monde oriental, obligeant le visiteur à reconsidérer sa vision de “l’autre”. Seule déception : la charge émotive, érotique ou pittoresque des œuvres est annihilée par une présentation linéaire des plus banales.
Le Muséum nous avait habitués à des scénographies plus audacieuses...

Déconstruction d’un mythe
La seconde partie réunit les œuvres d’artistes contemporaines originaires du Proche-Orient et d’Afrique du Nord. Jananne Al-Ani, Ghada Amer, Samta Benyahia, Shadi Ghadirian, Selma Gürbüz, Susan Hefuna, Malekeh Nayiny et Nadine Touma sont… “les nouvelles Schéhérazade”. Dans ses photographies en noir et blanc réalisées en 1998, l’Iranienne Shadi Ghadirian met en scène des femmes qui posent selon la coutume qajar (XIXe siècle), mais avec des objets interdits par le régime : lecteur CD, cannette de Pepsi-Cola, bicyclette, livres ou journal. Sur des épreuves plus récentes, l’artiste a remplacé les visages de femmes voilées par des ustensiles ménagers. Autant d’images qui soulignent, non sans ironie, la condition des femmes et les contradictions de la société iranienne. Disposée dans un espace clos, l’installation de Jananne Al-Ani (mi-irlandaise, mi-irakienne), A Loving Man (1996-1999), se compose de cinq écrans sur lesquels ses trois sœurs, sa mère et elle-même racontent le souvenir pour chacune d’un homme qu’elles ont aimé, sur le mode du cadavre exquis. Il en ressort un discours complexe et ambigu qui explore avec finesse les rapports amoureux, le rôle de la femme au sein de la famille et de la société. “Comme les femmes de Neshat se jetant à la mer [cf. Rapture, film tourné par Shirin Neshat en 1999, et dont des photographies sont également présentées au Muséum], la majorité des artistes dont il a été question jusqu’à présent ont quitté leur pays pour mieux s’exprimer, rappelle Rose Issa, commissaire de l’exposition pour la section contemporaine. Ces nouvelles Schéhérazade prennent le risque d’exposer de manière osée leurs pensées intimes et rebelles. Avec beaucoup d’imagination, de talent et d’humour, elles revendiquent leur identité et déconstruisent le mythe orientaliste de la femme muette.”

FANTAISIE DU HAREM ET NOUVELLES SCHÉHÉRAZADE

Jusqu’au 4 janvier 2004, Muséum d’histoire naturelle, 28 boulevard des Belges, 69006 Lyon, tél. 04 72 69 05 00, tlj sauf lundi 8h15-17h15, fermeture le 1er novembre, 25 décembre et 1er janvier. Catalogue éditions Somogy, 191 p., 30 euros.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°178 du 10 octobre 2003, avec le titre suivant : Les nouvelles Schéhérazade

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