Le Sacre sans massacres

Par Manuel Jover · L'ŒIL

Le 1 novembre 2004 - 700 mots

PARIS

Le 2 décembre 1804, à Notre-Dame de Paris, Napoléon était sacré empereur par le pape Pie VII. 

David, peintre officiel du général Bonaparte puis de l’empereur Napoléon, avait reçu commande de quatre grandes toiles commémoratives des cérémonies du couronnement : le Sacre, la Distribution des aigles, l’Intronisation et l’Arrivée à l’Hôtel de Ville. Seules les deux premières seront peintes. La scène se passe dans le chœur de la cathédrale réaménagé dans le goût néoclassique par les architectes Percier et Fontaine. David avait d’abord représenté Napoléon se couronnant lui-même, en un geste héroïque dont témoigne un dessin préparatoire. Mais on jugea plus opportun de le montrer en train de couronner Joséphine. L’artiste fit les retouches, avant d’exposer son œuvre, début 1808, dans le grand salon du Louvre. Derrière le souverain se tiennent le pape, qui donne mollement sa bénédiction, et tous les ecclésiastiques ; dans la tribune d’honneur trône Madame Mère, en réalité absente ce jour-là ; juste en dessous, les maréchaux ; à gauche les princesses, sœurs et belles-sœurs de l’empereur ; au premier plan, les dignitaires politiques portant le sceptre, la main de justice et le globe : les regalia restaurés ou reconstitués de Charlemagne, dernier empereur des Français. Ces insignes devaient conférer à l’événement son ampleur symbolique. S’il rompt avec la tradition monarchique, le nouveau souverain renoue avec une tradition plus ancienne, qui conduit aux empereurs romains. Bien que la toile comporte en tout quelque cent cinquante personnages, peints en grandeur réelle, l’action se résume à deux gestes : celui de l’empereur, celui du pape bénissant. Elle donna satisfaction. « Ce n’est pas de la peinture, déclara son protagoniste, on marche dans ce tableau. » Et l’effet de réalité est en effet saisissant : c’est comme si on y était. On admira beaucoup – et on admire encore – la beauté du coloris dans toute la partie droite (le côté gauche avec les princesses paraît quant à lui anémié) et la formidable galerie de portraits. La beauté de l’œuvre réside en grande partie dans le reflet de la scène principale, resplendissante, avec ses héros idéalisés et magnifiquement dessinés, sur les multiples visages de l’assistance. Et ce reflet n’est pas toujours fervent ; il varie au contraire, de l’arrogance chamarrée des nouveaux dignitaires, à la stupeur qui frappe les spectateurs des tribunes, la résignation critique du groupe ecclésiastique, ou la méfiance à peine voilée (le porte-croix). Articulée autour de l’immense toile restée en place, l’exposition aborde à la fois le rite millénaire du sacre, l’événement lui-même à travers la chronique d’une cérémonie qui dura cinq heures, le travail du peintre avec de nombreuses études, et enfin la réception de l’œuvre. Mais elle se prolonge en quelque sorte par un cycle de conférences portant sur « La Représentation du pouvoir sous l’Empire ». Question passionnante. On sait que Napoléon encouragea la peinture de l’histoire contemporaine, c’est-à-dire la sienne, et qu’il en résulta une énorme production d’images de propagande.
Comment David se situe-t-il ? Comment cet ardent républicain, qui joua un rôle si actif pendant la Révolution, s’accommode-t-il d’être devenu le peintre officiel du nouveau monarque ?
Le Sacre marque l’apogée de sa carrière, mais peut-être aussi le début du déclin de son art. Son dernier tableau d’histoire contemporaine, la Distribution des aigles, est une pompeuse page de propagande. Quant à l’histoire ancienne, ses nouvelles productions apparaissent pathétiquement anachroniques : Léonidas et ses Spartiates ont le ridicule d’un rassemblement de nudistes en déroute. Le peintre des fastes impériaux semble avoir perdu cette énergie morale qui transfigurait les œuvres de l’artiste républicain. La peinture d’histoire lui échappe, elle triomphe sous des pinceaux plus indépendants, ceux de Gros, de Géricault. Il eut été judicieux (mais moins festif) d’intégrer à l’exposition le chef-d’œuvre de Gros, Napoléon sur le champ de bataille d’Eylau avec ses cadavres raidis dans la neige. Les deux œuvres se faisaient face au Salon de 1808, ce qui fit dire à un visiteur, parlant de Napoléon : « Sacre et massacre, le voilà bien en deux tomes. »

« Le Sacre de Napoléon peint par David », PARIS, musée du Louvre, Ier, tél. 01 40 20 50 50, 21 octobre-17 janvier 2005. Conférences, 8-29 novembre, tél. 01 40 20 55 55.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°563 du 1 novembre 2004, avec le titre suivant : Le Sacre sans massacres

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