Art ancien

Léonard de Vinci

Le processus créatif d’un perfectionniste

Par Isabelle Manca · Le Journal des Arts

Le 30 octobre 2019 - 816 mots

PARIS

Les conservateurs ont veillé à bien illustrer et mettre en valeur les influences et le long cheminement du travail de l’artiste.

Léonard de Vinci, Etude des proportions du corps humain (c.1489-1490), Bibliothèque Reale, Turin  © Photo LudoSane pour Le Journal des Arts
Léonard de Vinci, Etude des proportions du corps humain (c.1489-1490), Bibliothèque Reale, Turin
© Photo LudoSane pour Le Journal des Arts

Paris. Imparfaite à bien des égards, à commencer par sa médiation et sa scénographie désin­carnée, l’exposition du Louvre se révèle cependant très efficace dans son décryptage du processus créatif de Léonard. Le parcours et les confrontations pertinentes d’œuvres permettent en effet de mettre en lumière le cheminement intellectuel et artistique du peintre. Un parti pris qui a entre autres vertus de rompre avec le mythe trop tenace du génie universel au talent inné et omniscient, pour au contraire démontrer que cette perfection est le fruit d’un travail de longue haleine. Et d’une émulation : afin de pénétrer dans la matrice léonardienne, l’accrochage met en exergue les sources extérieures qui ont abondamment nourri le peintre et façonné sa grammaire visuelle.

La monographie s’ouvre logiquement sur l’enseignement que Léonard a tiré à Florence de son maître Verrocchio (1435-1488). Une Étude de tête (Berlin, Kupferstichkabinett), attribuée avec certitude à ce dernier, frappe par son travail d’estompe tout en finesse qui préfigure déjà le sfumato, la technique qui deviendra la marque de fabrique de Léonard.

Au fil des salles, d’autres influences se font également jour, notamment celle de l’atelier rival des frères Antonio et Piero Pollaiuolo (1429-1498 et 1443-1496). Deux cassoni (coffres de mariage, Paris, Musée Jacquemart-André) attestent que le jeune artiste a porté un intérêt certain à la production des frères Pollaiuolo, tant pour l’intensité insufflée au traitement des personnages que pour leur souci de l’anatomie. Enfin, une Vierge à l’Enfant (1460-1465, Musée du Louvre) d’Alesso Baldovinetti (1427-1499), que Léonard a certainement dû admirer à Florence, porte déjà les prémices d’éléments iconographiques et stylistiques qui deviendront indissociables de sa production, comme le traitement transparent et vaporeux du voile de la Vierge et du paysage naturaliste. Ce paysage, alternant courbes serpentines et succession de massifs montagneux, présente en effet des analogies avec ceux que Léonard placera à l’arrière-plan de ses compositions, notamment dans La Joconde.

Par un judicieux dialogue, l’exposition explique également que les emprunts extérieurs sont loin de se cantonner à la période de formation du peintre. La confrontation du Condottiere (1475, Paris, Musée du Louvre) d’Antonello Da Messina (1430-1479) et du Musicien (vers 1485, Milan, Pinacoteca Ambrosiana) de Léonard prouve sans ambages ce dont ce dernier est redevable à son aîné : le cadrage resserré, la position de trois quarts et la recherche d’expressivité et de personnalité du modèle.

Dessins préparatoires

Pour décoder le processus créatif, l’accrochage exploite un autre corpus riche en enseignements : les dessins. Géométrie, botanique, météorologie, géologie ou encore anatomie, Léonard a tenté de maîtriser toutes ces sciences afin de pouvoir peindre le réel de la manière la plus parfaite possible. L’exposition propose un florilège de dessins témoignant de cette enquête sur la nature. Le parcours propose surtout un ensemble roboratif et éclairant d’études préparatoires mises en relation avec les peintures dont elles sont à l’origine. Ces feuilles donnent de précieuses informations sur sa méthode de travail, et notamment sur son incessante recomposition, afin de trouver la formule la plus juste et la plus vivante. La Madone Benoisv du Musée de l’Ermitage est par exemple mise en regard avec une série de dessins sur le thème de la Vierge à l’Enfant montrant les nombreuses variations sur la position et le nombre de personnages, mais aussi sur leur attitude et sur des éléments iconographiques. Si le tableau reprend la composition générale d’un dessin conservé au Louvre (Vierge à l’enfant, dite Madone aux fruits, 1478-1480, voir ill.), Léonard a continué à retravailler la formule et remplacé finalement le fruit par une fleur, comme préfiguré dans L’Étude pour une Vierge à l’Enfant (Londres, British Museum).

Incessantes reprises

Cette recherche infinie de la forme parfaite est frappante dans les œuvres ambitieuses comme La Sainte Anne (dite) du Louvre, tableau qui est accompagné de plusieurs études multipliant les propositions alternatives mais aussi d’un carton très abouti d’un 1,40 m de haut (Londres, National Gallery), dont le schéma a finalement été abandonné. Dans l’œuvre définitive, Léonard supprime en effet le personnage de saint Jean-Baptiste et modifie la position de la Vierge pour l’asseoir sur les genoux de sainte Anne et inventer cette formule si originale.

Comme le souligne un autre dispositif, Léonard ne cesse en réalité jamais de reprendre ses compositions, y compris une fois l’étape de la peinture commencée. Les réflectographies disséminées dans l’exposition font ainsi apparaître le dessin sous-jacent et la constante évolution du concept, une dimension caractéristique de la démarche de Léonard. Un œil avisé peut ainsi déceler plusieurs repentirs dans La Belle Ferronnière (dite à tort, 1495-1497, Musée du Louvre) : le costume, le collier ainsi que le visage ont notamment été modifiés pendant l’exécution. S’il constitue un bon outil ce dispositif est cependant maladroitement mis en œuvre car les images ne sont presque jamais accrochées à côté des œuvres concernées, ce qui empêche les comparaisons.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°532 du 1 novembre 2019, avec le titre suivant : Le processus créatif d’un perfectionniste

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