Le Caravage en Amérique

Le maître lombard est au cœur de deux expositions

Le Journal des Arts

Le 16 avril 1999 - 710 mots

Si un seul tableau du Caravage figure dans les collections de la Nouvelle-Angleterre, deux expositions devraient temporairement pallier cette lacune, grâce notamment au Musée du Capitole à Rome, actuellement fermé pour travaux, et à d’heureux concours de circonstances.

BOSTON  - Au Boston College, “Saints et pécheurs : Le Caravage et l’image baroque” expose L’Arrestation du Christ, réapparu à Dublin en 1990, et La Conversion de Madeleine du Detroit Institute of Arts, ainsi qu’une trentaine de tableaux signés entre autres de Lanfranco, Strozzi et du Guerchin, venus de différents musées américains et de collections privées. De son côté, le Wadsworth Atheneum, à Hartford, va inaugurer “Le Saint Jean du Caravage et autres chefs-d’œuvre du Musée du Capitole de Rome”, où l’œuvre-titre sera présentée avec vingt tableaux du Guerchin, de Reni, Vouet, Vélasquez...  Elle suit de près “Le Caravage et ses émules italiens”, l’exposition montée par les Galeries nationales de Rome qui s’est tenue à Hartford en 1998.

Ces manifestations, ainsi que plusieurs biographies publiées récemment, ont de nouveau attiré l’attention sur le peintre, même si, selon Peter Sutton, directeur de l’Atheneum, l’intérêt porté au maître lombard ne s’est jamais démenti : “Il s’adresse avec éloquence au public du XXe siècle”, remarque-t-il, convaincu que le spectateur moderne de notre société laïque se retrouve dans les thèmes naturalistes du Caravage, qui “rapproche le spirituel du terrestre et le rend ainsi accessible”.

La forte présence caravagesque en Nouvelle-Angleterre résulte d’un heureux concours de circonstances. Pour remercier l’Atheneum de lui avoir rendu un tableau de Jacopo Zucchi, le Bain de Bethsabée (v. 1570), volé dans l’ambassade d’Italie à Berlin à la fin de la Seconde Guerre mondiale et acheté 37 000 dollars à un marchand parisien en 1965, l’État italien avait financé l’exposition de l’an dernier. Les Italiens avaient commencé la procédure de restitution dans les années soixante-dix, mais leur requête était restée sans suite jusqu’à ce que Peter Sutton négocie cet échange de bons procédés.

Alors qu’il se trouve à Rome pour rendre le tableau à l’occasion de la réouverture du palais Barberini, en septembre 1998, Peter Sutton apprend que le Musée du Capitole va fermer pour rénovation. Saisissant l’occasion, il demande à emprunter le Saint Jean du Caravage ainsi que d’autres œuvres. Cette mystérieuse image du Baptiste quitte donc l’Italie pour la première fois.

Un sermon visuel
L’exposition du Boston College a, elle, été organisée au sein de l’Église catholique. Cette institution, l’une des plus grandes universités catholiques du pays, n’a pas eu de difficultés à obtenir de la Société de Jésus à Dublin le prêt de L’Arrestation du Christ (1602). Dans les années trente, une femme de la ville avait fait don du Caravage aux Jésuites irlandais en reconnaissance de l’aide spirituelle qu’ils lui avaient apportée après la perte de son époux, officier de la Couronne, assassiné par l’IRA en 1920. Le tableau est resté accroché dans le réfectoire des Jésuites de la Maison Saint Ignace, jusqu’à ce qu’il soit identifié en 1990 par Sergio Benedetti, conservateur à la National Gallery of Ireland, et il est depuis en dépôt au musée.

Présenté pour la première fois aux États-Unis, ce chef-d’œuvre longtemps disparu est devenu une attraction, mais le contexte religieux évite tout sensationalisme. L’approche de l’histoire de l’art par les Jésuites transforme les tableaux en de magnifiques illustrations d’un sermon visuel – ce qui fut aussi la vocation de l’art baroque. Les panneaux informatifs ne commentent pas uniquement le style, mais aussi la fonction religieuse et le contenu moral de chaque œuvre. Ainsi, l’épouse lascive aux seins nus de Putiphar, peinte par le Guerchin (National Gallery, Washington), et les frères perfides vendant Joseph à Pharaon, par Carlone (Bob Jones University) sont-ils perçus comme la préfiguration dans l’Ancien Testament de la trahison illustrée par le Caravage dans sa grande scène nocturne. Comme le signalait un prêtre jésuite, “les vies des saints n’étaient pas de simples histoires, elles faisaient partie de la vie quotidienne. La plupart d’entre nous, hommes du XXe siècle, semblons l’avoir oublié”.

- SAINTS ET PÉCHEURS : LE CARAVAGE ET L’IMAGE BAROQUE, jusqu’au 24 mai, McMullen Museum of Art, Boston College. - LE SAINT JEAN DU CARAVAGE ET AUTRES CHEFS-D’ŒUVRE DU MUSÉE DU CAPITOLE À ROME, 20 avril-20 juin, Wadsworth Atheneum, Hartford, Connecticut ; puis Art Gallery of Ontario, Toronto, mi-juillet-12 septembre.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°81 du 16 avril 1999, avec le titre suivant : Le Caravage en Amérique

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