Modernité

L’art du rail

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 7 juillet 2010 - 605 mots

Quand la signalisation inspirait les artistes… Une exposition, au Musée national. Fernand-Léger, fait le point sur un thème qui a nourri l’avant-garde.

BIOT (Alpes-Maritimes) - Les thèmes les plus évidents sont parfois ceux qui tardent le plus à être traités. Ainsi de la place du signal dans l’œuvre de Fernand Léger (1881-1955). Ou plus précisément de la convergence entre la recherche de schématisation des artistes de l’avant-garde et la signalisation ferroviaire et routière. À une époque où se développe l’utopie du machinisme, le sujet interpelle les artistes qui observent avec acuité la transformation du paysage urbain. En 1914, un curieux reportage est notamment publié dans le magazine L’Illustration. Au milieu des articles consacrés à la guerre qui s’abat sur l’Europe, plusieurs pages traitent du sujet de la signalisation ferroviaire. Le texte est illustré d’autochromes de Léon Gimpel composés comme de véritables tableaux. En cette époque où l’on croyait à l’espéranto (la langue universelle), ce langage visuel participe aussi d’une volonté universaliste. Il raisonne, selon Arnauld Pierre, professeur à la Sorbonne et initiateur de l’exposition « Disques et sémaphores » au Musée Fernand-Léger de Biot, comme « une héraldique de la couleur ».

La démonstration est donnée par un tableau phare. Prêté par le Museum of Modern Art de New York, La Ville (1919) combine ces disques, sémaphores, signaux ferroviaires et autres pictogrammes chers à Léger. « Ils sont présents en tant que motifs, mais commandent aussi une stylisation qui finit par faire du tableau un signal », explique Arnauld Pierre. Les formes concises et les aplats colorés qu’ils constituent sont aussi une manière de flirter avec l’abstraction, sans jamais sauter le pas. « L’abstraction a été considérée comme un art qui refuse de communiquer, poursuit Arnauld Pierre. Or on s’aperçoit que le langage de la communication a inspiré les précurseurs de l’abstraction. » Pour dépasser la tradition picturale, les artistes vont puiser dans ce qui leur fait alors concurrence. Ils en adoptent la schématisation et le langage visuel simple, associant souvent la lettre. Certains tableaux de Léger se muent en enseignes, comme son Hommage à la danse (1925, Paris, collection Maeght) dans lequel la jambe est devenue le rayon d’une roue mécanique, réduisant le corps humain à sa plus simple expression.

Un langage par l’image
Les progressistes de Cologne – un groupe de peintres jusque-là peu exposé en France – importent en Allemagne cette simplification de la forme. En témoigne La Grève d’Augustin Tschinkel (1935, collection particulière) dont la réduction des moyens picturaux accentue le caractère politique du sujet. La typographie des revues d’avant-garde poursuit également dans cette voie. L’alphabet Bifur, inventé en 1929 par Cassandre, exploite les lignes noires parallèles – qui évoquent les rails des trains – alors que Gerd Arntz invente, avec ses isotypes, les premiers pictographes conçus comme un langage par l’image pour illettrés. Mis en avant lors de l’Exposition universelle de 1937 à Paris, notamment dans le cadre du pavillon des chemins de fer décoré par Robert Delaunay et Félix Aublet, ce langage du signe connaît alors un vif succès. Léger, lui, est déjà passé à autre chose.

DISQUES ET SÉMAPHORES. LE LANGAGE DU SIGNAL CHEZ LÉGER ET SES CONTEMPORAINS

jusqu’au 11 octobre, Musée national Fernand-Léger, chemin du Val-de-Pome, 06410 Biot, tél. 04 92 91 50 30, www.musee-fernandleger.fr, tlj sauf mardi 10h-18h. Catalogue, éd. RMN, 152 p., 123 ill., 45 euros, ISBN 978-2-7118-5709-8

- Commissaire général : Maurice Fréchuret, conservateur en chef, directeur des Musées nationaux du XXe siècle des Alpes-Maritimes
- Commissaires : Arnauld Pierre, professeur à l’université de Paris-IV-Sorbonne ; Ariane Coulondre, conservatrice au Musée national Fernand-Léger ; Nelly Maillard, chargée de recherche et de documentation au Musée national Fernand-Léger

Chagall renversé

« La Russie se couvrait de blanc, Lénine l’a renversée sens dessus dessous comme moi je retourne mes tableaux. » Dans ses toiles, Chagall a toujours pratiqué le renversement des figures. Une exposition du musée éponyme, à Nice, qui réunit notamment de nombreux dessins inédits, s’intéresse à ce phénomène qui confère une certaine étrangeté à ses œuvres. Pour Maurice Fréchuret, commissaire de la manifestation, cette habitude picturale tient en plusieurs explications : le renversement de valeurs provoqué par la révolution russe – Chagall était à Vitebsk en 1917 –, mais aussi l’image du chaos véhiculée par la Torah ou encore l’empreinte de la culture populaire russe, perpétuée par les loubkis, gravures populaires illustrées de figures représentées comme en lévitation.
« Sens dessus dessous, le monde renversé de Chagall », jusqu’au 11 octobre, Musée national Marc-Chagall, av. Docteur-Ménard, 06000 Nice, tél. 04 93 53 87 31, www.musee-chagall.fr. Cat. téléchargeable sur le site du musée

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°329 du 9 juillet 2010, avec le titre suivant : L’art du rail

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