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6 Clés pour comprendre

L’art de Madagascar

Par Marie Zawisza · L'ŒIL

Le 1 octobre 2018 - 1053 mots

PARIS

Le Musée du quai Branly consacre sa grande exposition de la rentrée aux arts de l’île de Madagascar, dans l’océan Indien, que nous n’avions pas vus à Paris depuis 1946.

1. Archéologie : le début d’une histoire de l’art

Parmi les quelque trois cent soixante pièces de l’exposition « Madagascar, arts de la Grande Île » figure cette marmite, retrouvée sur la côte nord-est de Madagascar, dans la nécropole de Vohémar, datée entre le XIe et le XIIIe siècle. Remarquons sa forme, qui évoque les vases chinois : elle témoigne d’une culture pluriculturelle et de la richesse et de la précocité des échanges entre Madagascar et l’Asie. Les relations commerciales avec le golfe Persique, le Yémen, la Chine, l’Indonésie furent établies dès le Xe siècle et se sont poursuives sur plusieurs siècles. « L’enjeu de cette exposition est de sortir du discours ethnographique sur la production de Madagascar pour donner à voir son histoire de l’art, en soulignant les échanges culturels, les métissages, et en reliant l’art contemporain à l’art ancien », explique Aurélien Gaborit, responsable des collections Afrique au Quai Branly – Jacques Chirac et commissaire de l’exposition. Depuis l’exposition « Ethnographie de Madagascar », présentée au Musée de l’homme en 1946, aucune exposition d’envergure n’avait donné à voir la création malgache. En filigrane, ces objets auxquels on a longtemps refusé le statut d’œuvres d’art témoignent aussi de l’évolution de notre regard.

2. Les armes : premières ambassadrices

Si l’archéologie se développe à Madagascar à partir des années 1940, les Européens s’intéressent aux productions malgaches dès le XVIIe siècle. Il faut dire que le statut de guerrier, du fait des guerres opposant les différents royaumes de la Grande Île, revêt une importance particulière dans l’histoire du pays. Dès le XVIIe siècle, des armes malgaches sont échangées contre des mousquets puis des fusils venus d’Europe. Elles intègrent des collections particulières et apparaissent dans les ventes publiques dès 1820. Ce bouclier en bois, légèrement bombé et creusé à l’intérieur pour ménager une poignée, est considéré comme l’accessoire « typique » des guerriers malgaches. Au moment de la conquête française, il n’était cependant plus utilisé que pour les danses rituelles.

3. Le zébu : l’emblème de l’île

Le zébu est l’animal emblématique de la Grande Île. Cet animal venu du continent africain au Xe siècle, célébré lors des cérémonies et des cultes, symbolise richesse et prestige : posséder un cheptel constitue une marque de richesse et de pouvoir. Ici, cet animal sacré aux formes épurées orne un coffret tressé à la main. La vannerie constitue un des arts les plus importants de Madagascar, et se transmet de génération en génération. « Aujourd’hui, les pièces de vannerie sont considérées comme de véritables œuvres de designers », remarque Aurélien Gaborit.

4. Poteaux funéraires : un art à nul autre pareil

On sait que Picasso possédait des pièces malgaches, et que le sculpteur Jacob Epstein avait acquis un poteau funéraire – aujourd’hui conservé au Metropolitan Museum, à New York. Les sculptures sont de fait les premiers objets malgaches à être regardés et reconnus comme des œuvres d’art par les Européens. Reste qu’on les compare souvent aux poteaux funéraires d’Afrique et d’Asie, sans prendre en compte leurs spécificités. Ceux de Madagascar ont la particularité d’être surmontés par un personnage sculpté évoquant le défunt – parfois accompagné d’un oiseau ou d’un zébu, symbole de richesse et d’un statut social élevé –, dont la vie se poursuit par-delà la mort. Le crocodile, sur le fût du poteau, indique le statut royal du défunt. Ce poteau funéraire fut rapporté en 1920 pour l’Exposition universelle, avant d’intégrer les collections du Musée ethnographique du Trocadéro. En 1989, c’est un poteau de l’artiste Jean-Jacques Efiaimbelo qui représenta l’art contemporain de Madagascar dans l’exposition « Magiciens de la terre », à travers laquelle Jean-Hubert Martin révolutionnait notre regard sur l’art contemporain extra-occidental. Jean-Jacques Efiaimbelo revisite l’art des poteaux funéraires, en les peignant et y sculptant des scènes inattendues – comme un avion pour évoquer sans doute une vie de voyages.

5. Amulettes : une charge magique

Parmi les parures portées traditionnellement par les Malgaches, les amulettes. Comme en témoigne le tissu rouge accroché à la corne, ces pièces élaborées peuvent être portées sur le corps. Elles sont fabriquées par des devins-guérisseurs à l’issue d’un rituel de divination. Pour assurer une protection, le devin guérisseur fabrique une sorte de médicament avec des matériaux organiques (végétaux, terre, bois, pierres, perles de verre…) qu’il place dans une corne de zébu. Cette pièce du début du XXe siècle, ornée de perles de couleur, a été décorée avec soin, de façon codifiée : le rouge est associé au pouvoir et à l’aristocratie ; le blanc préserve la santé et représente le sacré ; le noir symbolise la puissance et la prospérité. Une figurine de femme a été placée à l’intérieur de la corne de cette amulette. Derrière elle, des ciseaux européens symbolisent la nécessité pour la personne qui la portera de se débarrasser d’un objet ou de se séparer d’une personne : ils témoignent de la vitalité de l’art de Madagascar qui, tout au long de son histoire, se nourrit des cultures qu’il rencontre.

6. Tissu : les vivants et les morts

Les pagnes, tissés en soie, en coton ou en raphia, habillent les vivants jusqu’au début du XXe siècle, aussi bien que les morts : ils donnent à voir le lien profond qui s’opère dans l’art malgache entre le monde des vivants et celui des esprits des ancêtres, dont on demande la protection. Ce tissu du XVIIe ou XVIIIe siècle est l’un des plus anciens qu’on ait conservé. Avec ses bandes de couleur à décors tissés, dans lesquels se répètent des motifs géométriques et floraux, il témoigne de la finesse de l’art textile malgache. La qualité de sa fabrication, la délicatesse de ses décors et son matériau – la soie – indique qu’il était destiné à un personnage royal. Aujourd’hui, alors que les jeunes femmes à la mode prennent l’habitude de porter des châles colorés et que les linceuls faits à la main restent très valorisés, designers et tisserands donnent un nouveau souffle à l’art textile. Parmi les artistes contemporains, Madame Zo réalise des tableaux tissés composés d’objets quotidiens, symboles de la richesse naturelle de Madagascar (épices, raphia…) et de détritus (rubans de vidéo, cartes téléphoniques, fils de cuivre et stylos usagés) pour dénoncer les coûts sociaux et écologiques de la modernité.

« Madagascar, arts de la Grande Île »,
jusqu’au 1er janvier 2019. Musée du quai Branly, 37, quai Branly, Paris-7e. Tarifs : 10 et 7 €. Tous les jours sauf le lundi de 11 h à 19 h, jusqu’à 21 h les jeudis, vendredis et samedis. Commissaire : Aurélien Gaborit. www.quaibranly.fr

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°716 du 1 octobre 2018, avec le titre suivant : L’art de Madagascar

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