Art contemporain

Jeremy Shaw, l’au-delà de la perception

Par Anne-Cécile Sanchez · Le Journal des Arts

Le 26 mars 2020 - 506 mots

Le Centre Pompidou offre sa première exposition dans un musée à l’artiste canadien Jeremy Shaw. Au cœur du parcours, se trouve une installation vidéo sous forme de kaléidoscope.

Paris. L’extase, c’est le sujet de la série de photos en noir et blanc sur laquelle ouvre l’exposition, motif placé sous un prisme qui en interroge l’expression, Toward Universel Pattern Recognition. C’est aussi le climax vers lequel tendent les sept films de Phase Shifting Index (lire page 26 et 27), au cœur du projet développé pour le Centre Pompidou, dans le cadre de son programme « Mutation / création ». Conçue comme un dispositif immersif, depuis la rampe d’accès à la salle de projection jusqu’aux assises qui invitent à s’installer – au choix – sur des gradins en hauteur ou des banquettes au plus près des écrans, l’œuvre est sans doute la plus ambitieuse, et la plus aboutie de Jeremy Shaw (né en 1977).

Christine Macel, la co-commissaire, a remarqué son travail lors de sa préparation de « Based in Berlin », plus de dix ans auparavant. « À l’époque, explique-t-elle, il était dans un moment de transition entre sa carrière de DJ et sa recherche artistique. » L’installation vidéo et sonore qu’elle sélectionne alors, Best Minds, montre des adolescents évoluant au ralenti sur des nappes électro crépusculaires, proches d’un état second. Mais alors qu’on pourrait les croire sous l’emprise de substances hallucinogènes, ces jeunes hommes s’avèrent être les membres d’un groupe dont l’idéologie prohibe l’usage de la drogue et de l’alcool. La danse, la dimension musicale, mais aussi les thèmes liés à la représentation de la subculture et à l’ambivalence des images sont déjà présents.

On les retrouve dans Phase Shifting Index, fascinant kaléidoscope constitué de récits sculptés depuis la perspective de leur synchronisation finale, sous forme d’acmé fictionnelle (voir ill.). L’installation, qui se présente comme un ensemble cinématographique diffusé sur sept canaux, documente des rituels somatiques, archives du futur commentées par une voix qui leur est encore postérieure. Les repères temporels sont d’autant plus brouillés que les techniques d’enregistrement – VHS, 16 mm… – renvoient à une esthétique passée, familière. Il s’ensuit un effet de confort pour celui qui regarde, tandis que les styles vestimentaires des différents groupes – « The Violet Lux », « The Alignement Movement »… – rappellent que les modes, s’habiller autant que penser, résultent de conditionnements culturels. Engagés dans des chorégraphies répétitives, des cérémonies cryptées, les protagonistes des vidéos paraissent placés sous l’objectif d’un entomologiste. Cette mise à distance n’empêche pas un phénomène d’identification de la part du visiteur, comme si la narration provoquait un état d’hypnose symétrique à la catharsis qu’elle décrit.

Cette tentative d’impliquer celui qui regarde fait partie des aspirations de Jeremy Shaw. Il l’évoque dans le catalogue à propos de son film Introduction to The Memory Personnality (2012), dans lequel il utilisait déjà des images IRM pulsatives : « Mon but était de créer une œuvre qui ferait sortir le spectateur du présent – une œuvre destinée à le mettre en transe […], il ne s’agissait pas d’une œuvre à propos de cette expérience, mais de l’expérience elle-même. »

Jeremy Shaw. Phase Shifting Index,
initialement prévue jusqu’au 20 avril, Centre Pompidou, Place Georges-Pompidou, 75004 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°542 du 27 mars 2020, avec le titre suivant : Jeremy Shaw, l’au-delà de la perception

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