Cateau-Cambrésis

Herbin l’enchanté

Un fondateur de l’art concret

Le Journal des Arts

Le 1 décembre 1994 - 579 mots

Après Céret, Le Cateau-Cambrésis accueille la première rétrospective – rassemblant une centaine d’œuvres – consacrée à Herbin. L’artiste a légué, en 1955, un fonds important au musée de cette ville où il a passé sa jeunesse et où naquit Matisse.

LE CATEAU-CAMBRÉSIS - Herbin n’est pas à sa place dans le paysage historique français. Fondateur, et président, du mouvement Abstraction-Création en 1931, il subit encore une éclipse analogue à celle qui frappe d’autres fondateurs de ce mouvement, tels que Kupka, Van Doesburg, Vantongerloo, et surtout Hélion. Herbin paye depuis sa mort (à la différence d’Hélion), un engagement dans une "abstraction" très personnelle, un système pur et dur de formes plastiques qui lui appartient en propre, et l’absence de concession au décoratif architectural auquel pousse souvent le besoin de reconnaissance.

L’exposition frappe par l’excellence et la justesse d’un artiste qui, à vingt-trente ans, assimile pleinement le langage fauve ou le cubisme coloré, au point de pouvoir rivaliser avec les plus grands, et d’être reconnu alors comme une figure déterminante du cubisme : c’est à ce moment (1913) qu’il séjourne à Céret, en même temps que Picasso, ou Juan Gris (dont il est souvent proche). Le problème pour tous ces artistes est de se définir dans l’après-guerre, au milieu des avant-gardes parfois nihilistes et des "ismes" de l’art.

Le tableau est un mot
Herbin passe par un primitivisme fécond, d’où naissent des sculptures polychromes totémiques et des reliefs (1921), auxquels se rattachent encore l’extraordinaire piano polychrome et ses deux tabourets (1925) qui sont dignes de l’Aubette de Van Doesbourg ; le "retour à" le saisit alors, comme d’autres, et le ramène à des préoccupations sociales auxquelles le convie son orientation politique (il s’est inscrit au parti communiste en 1920). Herbin opte pour une figuration "travailliste" du quotidien et s’adonne aussi à la nature morte.

Le meilleur est encore à venir : de retour à l’abstraction en 1926, Herbin s’engage dans une sorte de chant de la courbe, que l’on pourrait comparer au travail de Jean Arp, et qui sera évidemment délaissé par l’histoire de ces dernières décennies, plus attentive à la ligne construite d’un Hélion et d’un Vantongerloo. C’est en tout cas avec eux qu’il crée Abstraction-Création, groupe destiné à promouvoir cet art de nature géométrique, qui hésite entre les notions d’"abstrait" et de "concret" (concret, parce qu’il crée de toutes pièces une réalité formelle sans références naturelles).

C’est de là que naît, dans les années quarante, le vocabulaire pictural définitif du dernier Herbin, qui fait que l’on reconnaît un Herbin non à sa touche mais à son langage.

Le tableau équivaut pour lui à un mot dont chaque lettre appartient à un alphabet plastique, associant la forme (carré, cercle, ou triangle), la couleur, et le son musical. C’est ce mot, formalisé par un langage de signes, qui constitue le titre du tableau. Il y a désormais de l’enchantement dans l’œuvre d’Herbin, un appétit de liberté sous l’apparente contrainte du vocabulaire, une allégresse musicale, un enthousiasme qui porte la peinture vers la sémiologie la plus radicale.

Les visiteurs du Cateau-Cambrésis pourraient aller vérifier que ce foisonnement vital n’est pas éloigné de celui de son compatriote Matisse, à la vue d’un vitrail heureusement sauvegardé à l’école maternelle Henri Matisse ; quant au magnifique et unique vitrail qu’Herbin conçut pour le collège local, il est défiguré par un escalier sciemment placé devant...

"Herbin", Musée Matisse, Le Cateau-Cambrésis (Nord), jusqu’au 15 janvier, catalogue Éditions Anthèse, 175 p., 225 F (broché) ou 295 F (relié).

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°9 du 1 décembre 1994, avec le titre suivant : Herbin l’enchanté

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