Géricault

Politiquement incorrect ?

Par Colin Lemoine · L'ŒIL

Le 1 mai 2006 - 360 mots

À l’abri des poncifs et de la légende, le musée des Beaux-Arts de Lyon invite brillamment à élargir la notion de folie et à voir en l’œuvre de Géricault la permanence d’une hantise : le politique.

Le cheval, le fou, le naufragé : rares sont les peintres qui peuvent revendiquer un tel monopole iconique dans l’imaginaire collectif. Surtout quand la mort survient à 32 ans. Pourtant, ces images, devenues pour certaines d’Épinal, semblent n’être que les signes d’une autre obsession puisque l’œuvre de Géricault (1791-1824) croise nombre de troubles.
Des troubles psychiques, incarnés par les monomanes ou les allusions cannibales, mais aussi et surtout des troubles politiques qui, et l’exposition le démontre savamment, engendrent les premiers. Et la folie ou le drame héroïque d’être les symptômes d’une logique souveraine, celle d’un corps social malade, gangrené par l’ingérence. Manière de diagnostiquer...

Un regard critique sur la société napoléonienne
Géricault renouvelle formidablement la peinture de l’époque. Ses toiles figurant des scènes militaires sont autant des chroniques que des critiques sociales. Leur juxtaposition fait sens : plus que des portraits visant à célébrer le personnage représenté, elles décrivent les affres de la guerre, l’exclusion sociale et la misère des temps. Le renouvellement vient de l’intérieur de la toile : servi par une touche virtuose, souvent violente, Géricault peint des gradés blessés ou éreintés par des « chevaux libres » (c’est le titre d’une superbe série) qui concurrencent la solennité de leur cavalier jusqu’à leur disputer le premier rôle.

Une histoire de fous… de sombres fous !
La folie est à l’œuvre chez Géricault. Une folie comme part sombre du siècle des Lumières. Une folie peinte, où lumière est faite sur les exclus, fixés dans leur dénuement le plus humain, loin de l’anecdote. Une folie qui est celle des hommes, bien souvent d’un seul, empereur ou roi.
Les monomanes font ainsi écho aux chevaux, renvoyant à cette animalité latente, à ce qui échappe à la raison en un siècle qui voit naître les premières tentatives de classification des patho­logies. Aussi les couleurs saturées côtoient-elles souvent le noir dans cette effusion romantique qui rappelle magistralement qu’une œuvre géniale ne saurait avoir une seule et unique lecture.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°580 du 1 mai 2006, avec le titre suivant : Géricault

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