Art moderne

ART BRUT

Femmes artistes envers et contre tout

Par Éric Tariant · Le Journal des Arts

Le 13 mars 2019 - 624 mots

VIENNE / AUTRICHE

Sous-représentées dans le monde de l’art, les artistes femmes le sont tout autant dans celui de l’art brut. Le Kunstforum de Vienne remédie à cette injustice en réunissant 93 d’entre elles.

Vienne (Autriche). Dans la Collection de l’art brut, sise à Lausanne (Suisse), tout comme dans la Collection Prinzhorn, hébergée par l’hôpital psychiatrique de l’université de Heildelberg (Allemagne), seules 20 % des œuvres qui y sont conservées ont été réalisées par des artistes femmes. Pour remédier à cette injustice, le Kunstforum de Vienne a ouvert ses vastes espaces d’exposition à ces marginales parmi les marginaux. Sous le titre de « Flying High », l’exposition réunit 316 œuvres de 93 femmes artistes issues de 21 pays. On y retrouve des classiques de l’art brut comme la Suissesse Aloïse Corbaz (1886-1964) et ses charnelles figures féminines aux iris bleus magnétiques, la Britannique Madge Gill (1882-1961) et ses autoportraits fondus dans des décors imaginaires, l’Américaine Judith Scott (1943-2005) et ses fétiches magiques faits de fils de laine ou de coton multicolores, ou encore la Chinoise Guo Fengyi (1942-2010) célébrée pour ses figures ancestrales ou divines aux visages féeriques ou monstrueux.

Aux côtés de ces grands noms de l’art brut, le visiteur découvre des dizaines d’artistes femmes peu ou pas connues dont l’Autrichienne Leila Bachtiar (née en 1971) qui exécute des dessins envoûtants d’arbres, d’animaux ou d’humains en leur conférant une dimension presque tridimensionnelle, ou la Japonaise Megumi Otori (née en 1994) dont les formes joyeuses et colorées rappellent la série des « Mires » de Dubuffet.

Qu’est-ce qui distingue, d’un point de vue iconographique, les œuvres d’art brut féminines de leurs homologues masculines ? Pas d’armes ou de scènes de guerre ici. Pas de jeux ou de jouets. Très peu d’œuvres représentant des moyens de locomotion, trains, avions, voitures et bicyclettes qui fleurissent chez les hommes. Peu d’œuvres à teneur érotiques. On découvre, en revanche, des ribambelles de portraits comme ceux poignants, saisis de profil, par la spirite allemande Margarethe Held (1894-1981) qui croquait ses anciennes amies décédées et figurait des fantômes, des dieux et des elfes. Également, de nombreuses œuvres réalisent des inventaires ou répètent le même motif de manière obsessionnelle comme les petits personnages chevelus et poilus de l’Autrichienne Karoline Rosskopf (1911- ?). Celle-ci fut l’une des rares à être admise à l’hôpital psychiatrique où le docteur Leo Navratil (1921-2006) exerça près de Vienne avant de fonder « Gugging », un lieu de vie et de création réunissant une douzaine d’artistes-patients blotti aux portes de la capitale autrichienne.

Des expressions de la folie

Après l’univers féerique et chatoyant d’Aloïse, c’est par les grandes collections d’art brut historiques que débute le parcours chronologique. Et en premier lieu par la collection Hans Prinzhorn (du nom du psychiatre et historien de l’art allemand auteur du livre Expressions de la folie publié en 1922). Cet ensemble recèle de nombreuses pépites comme ces flamboyantes œuvres d’Else Blankenhorn (1873-1920) et son Cavalier rouge de 1917 se dressant, impétueux, sur un ciel rouge sang. Puis, une grande salle abrite une sélection d’une dizaine d’œuvres de la Collection de l’art brut : de grands Madge Gill, de délicates œuvres de Jeanne Tripier, quelques énigmatiques dessins à l’encre bleue de Laure Pigeon d’une grande force poétique… La donation de l’Aracine (conservée au LaM, à Villeneuve-d’Ascq) révèle, à son tour, quelques-uns de ses trésors tels ces délicats dessins de Thérèse Bonnelalbay figurant de petits personnages dans des forêts anthropomorphes. Après un ultime coup de chapeau à la collection historique du psychiatre bernois Walter Morgenthaler, le parcours bifurque, de manière un peu abrupte, vers une présentation thématique : les femmes artistes médiums à l’instar de l’Allemande Agatha Wojciechowsky (1896-1986) ; les « louves solitaires » et les handicapées ; et enfin les artistes chinoises et japonaises sur lesquelles veillent les spectres colorés de Guo Fengyi.

Flying High. femmes artistes de l’art brut,
jusqu’au 23 juin, Kunsforum Wien, Freyung 8, Vienne (Autriche), www.kunstforumwien.at

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°519 du 15 mars 2019, avec le titre suivant : Femmes artistes envers et contre tout

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