Histoire de l’art

Entre ciel et frères

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 25 octobre 2007 - 843 mots

Les musées nationaux du Moyen Âge et de la Renaissance organisent une exposition commune autour du mécénat artistique des frères d’Amboise à l’aube du XVIe”¯siècle.

 PARIS, ÉCOUEN - Issus d’une famille extrêmement influente dans la France des années 1500, détenteurs des plus hautes responsabilités au sein du clergé, les frères d’Amboise se lancèrent dans de vastes et ambitieuses opérations de mécénat artistique. La chapelle de Cluny, à Paris, et celle du château de Gaillon (Eure) – l’édifice, partiellement en ruine, est toujours en attente de travaux de restauration –, sur les bords de la Seine, en constituent de remarquables exemples. La première fut réalisée dans les dernières années du XVe siècle par Jacques d’Amboise (1440/1450-1516), abbé de Cluny, la seconde, peu après, par Georges d’Amboise (1460-1510), principal ministre de Louis XII. Pour évoquer les ambitions artistiques des frères d’Amboise, le Musée national du Moyen Âge-Thermes et hôtel de Cluny et le Musée national de la Renaissance, sis au château d’Écouen (Val-d’Oise), évoquent ces joyaux architecturaux dans une manifestation scindée en deux volets.
À Paris, l’exposition se déploie in situ, dans la chapelle de Cluny, « dont la disposition incroyable s’adapte parfaitement au reste du bâti », précise Michel Huynh, co-commissaire de la manifestation. Conçue comme un véritable manifeste familial des Amboise, dans la pure tradition médiévale, la chapelle de Cluny était agrémentée d’un ensemble décoratif raffiné. Se trouvent ici réunis les rares éléments ayant survécu : deux têtes d’anges, issues de l’abside et restaurées pour l’occasion, des Têtes de femmes sculptées, quelques fragments vitrés et un panneau figurant le Portement de croix, seul rescapé des vitraux de la chapelle. Sans oublier les restes de peintures murales conservées sur les deux parois latérales de l’absidiole. Seul document ancien à restituer fidèlement la chapelle, la miniature (1781) de René Louis Maurice Beguyer de Chancourtois, prêtée par le Musée de Carnavalet (Paris), permet d’appréhender le dialogue harmonieux entre architecture, peinture, sculpture et objets d’art. Elle confirme aussi la présence sur l’autel d’une majestueuse Pietà. Pour enrichir le propos, Michel Huynh a exposé  l’ensemble d’archives et de dessins du XIXe siècle. L’occasion de découvrir le travail de d’Albert Lenoir. Nommé en 1843 architecte du Musée des thermes et de l’hôtel de Cluny, celui-ci prit le parti de restaurer ce lieu en respectant au maximum son état initial, entreprise peu commune à l’époque. Il a ainsi pu sauvegarder la toiture en plomb de l’abside extérieure. L’exposition offre une redécouverte de ce lieu d’une grande pureté stylistique que les visiteurs ont trop tendance à ignorer, de l’aveu même du conservateur.

« Œuvre d’art totale »
S’il semble évident d’évoquer l’art des frères d’Amboise dans la chapelle édifiée à Cluny, la partie organisée à Écouen apparaît plus complexe, mais non de moindre intérêt. Le Musée national de la Renaissance a, en effet, choisi d’évoquer le somptueux décor de la chapelle du château de Gaillon, dont il conserve les ornementations subsistantes. Le parcours, qui démarre dans la propre chapelle du château d’Écouen (assez similaire dans son architecture à celle de Gaillon), peut de prime abord dérouter le visiteur. Utilisant des cimaises aux tons volontairement criards pour différencier les œuvres de l’exposition de celles des collections permanentes, Écouen évoque le faste disparu de cette chapelle que Thierry Crépin-Leblond, directeur du musée, n’hésite pas à qualifier « d’œuvre d’art totale ». Quelques années après son frère Jacques, Georges d’Amboise, admiratif de l’esthétique italienne, avait fait reconstruire le château de Gaillon. L’édifice devint le témoin privilégié du passage du Moyen Âge à la Renaissance en France aux alentours des années 1500. Sa chapelle fut agrémentée d’un décor luxueux, composé de peintures, vitraux polychromes, sculptures en marbre ou en terre cuite, ainsi que de boiseries ornées par des artistes italiens et français. Le bois est un matériau très présent au sein de la chapelle, comme le montre la série de clôtures ajourées qui séparait la nef du chœur et enveloppait le sanctuaire, réalisée par Nicolas Castille et Ricardo Carpi. Cet ensemble conservé à Écouen est enrichi de six panneaux en boiseries originaires de Gaillon et actuellement conservées au Metropolitan Museum of Art, à New York. À noter également, la présence d’éléments en marbre de l’autel sculpté par Michel Colombe ainsi que de deux délicates statues en terre cuite polychrome exécutées par l’Italien Antoine Juste (Antonio di Giusto Betti).
Jacques et Georges ne furent pas les seuls membres de la fratrie d’Amboise à solliciter les artistes les plus en vue de leur époque. Il faudrait citer Louis, évêque d’Albi, pour la cathédrale Sainte-Cécile et la résidence d’été de Combefa (Tarn) ; Pierre, évêque de Poitiers, pour le château de Dissay (Vienne) ; Charles, gouverneur d’Italie, pour le château de Meillant (Cher) ; et Jacques, devenu évêque de Clermont, pour la cathédrale de Clermont-Ferrand.

L’ART DES FRÈRES D’AMBOISE. LES CHAPELLES DE L’HÔTEL DE CLUNY ET DU CHÂTEAU DE GAILLON

Jusqu’au 14 janvier, Musée national du Moyen Âge – Thermes et hôtel de Cluny, Paris, tél. 01 53 73 78 16, www.musee-moyenage.fr, tlj sauf mardi, 9h15-17h45, et Musée national de la Renaissance, château d’Écouen, tél. 01 34 38 38 50, www.musee-renaissance.fr, tlj sauf mardi, 9h30-12h45 et 14h-17h15. Catalogue, éd. RMN, 128 p., 25 euros, ISBN 978-2-7118-5296-3.

L’ART DES FRÈRES D’AMBOISE

- Commissariat : Thierry Crépin-Leblond, directeur du Musée national de la Renaissance ; Jacques Dubois, maître de conférences à l’université de Toulouse ; Agnès Bos, conservatrice du patrimoine, département des Objets d’art du Musée du Louvre ; Michel Huynh, conservateur du patrimoine au Musée national du Moyen Âge, Paris.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°267 du 19 octobre 2007, avec le titre suivant : Entre ciel et frères

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