Don d’ubiquité

Par Bénédicte Ramade · L'ŒIL

Le 1 mars 2004 - 733 mots

Proche et loin à la fois, parce que tout cela n’est qu’une question de point de vue géographique ou intérieur, il ne nous reste qu’à suivre les différentes pistes suggérées, ou plutôt amorcées par la première exposition collective programmée au domaine de Kerguéhennec depuis quatre ans. Subjective, voilà la qualité de cette exposition modeste, le premier chapitre d’une histoire sans début ni fin, tissée à partir des œuvres des artistes. C’est peu de dire que le directeur de ce domaine, Frédéric Paul, craint les thématiques, pour lui il s’agit là d’un genre « automatique et réducteur ». « Le projet proposé ici n’a pas cette ambition encyclopédique. Il se conçoit plutôt au bénéfice du doute… le but doit rester indéfini », voilà qui est dit. Pas question donc de soumettre les artistes et leurs œuvres à une finalité autoritaire, trompeuse, réductrice mais bien plutôt de suggérer, de perdre le spectateur pour mieux le laisser se promener entre le proche et le lointain, en affinité ou en désaccord avec les œuvres photographiques, graphiques ou vidéo choisies. Tout est question de subjectivité. Celle du commissaire que des œuvres ou des artistes ont inspiré, celle des artistes traitant des sujets divers et variés et enfin celle du visiteur, à qui s’offre une multitude de chemins possibles sans que jamais ils ne soient indiqués avec précision. « Le proche et le lointain » est une première prise de contact qui appelle d’autres rendez-vous, d’autres hypothèses. L’heure n’est plus ici aux expositions manifestes, programmation du regard et parole d’évangile. Rien n’est sûr, pas même sa propre impression, inutile donc de l’ériger en dogme.
Ainsi pas d’overdose de paysages, urbain ou naturel, pas de relevés topographiques à outrance, mais des affinités ou des défiances vis-à-vis du proche et du lointain. Une approche quasi macrographique sur le travail de certaines « découvertes » comme Emma Kay, Oliver Musovik, Harrel Fletcher ou Roman Ondak contrebalance une prise de distance avec d’autres artistes plus connus, presque enfermés dans leur recherche, d’Erwin Wurm coincé dans ses One minute sculptures à Jean-Jacques Rullier. Emma Kay a dessiné le monde, de mémoire et on voit clairement ses priorités géographiques. La Grande-Bretagne où elle est née s’en tire bien, la France relativement bien et, vous le saurez pour la prochaine fois, Lille n’est pas dans le Nord mais en dessous de Bordeaux pour elle ! Bon nombre de pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique du Sud aux contours presque correctement mémorisés, restent vides de toute implantations urbaines. On sait ainsi où est allé mademoiselle Kay et les représentations qu’elle se fait de ses grands inconnus, une démarche diamétralement opposée aux promenades méticuleuses de Rullier. Parcours aux crayons de couleur d’une balade en ville la nuit, des courses au marché, abstraites mais documentées, inventaires d’habitudes focalisés sur
la mémoire, ils dialoguent magnifiquement bien avec la mappemonde de leur voisine anglaise. Lara Almarcegui nous transporte dans son monde chaleureux en un coup de baguette poétique, diapo après diapo, devant l’histoire de la résurrection d’une cabane de jardin en banlieue d’Amsterdam. Petit café en plein air confié au jardinier après son lancement par la jeune artiste, une proximité et une intimité qui percent aussi dans l’inventaire photographique d’un quartier de Skopje en Macédoine par un de ses habitants, Oliver Musovik. Photographies noir et blanc recadrées par le texte qui explique pourquoi un chemin en dur a été construit à travers une pelouse et les raisons de sa dégradation, elle aussi répertoriée. Des petits riens qui font tout, qui aiguisent notre acuité.
Les échanges sont poétiques entre le proche et le lointain, doux, sans contrainte, on navigue sans peine dans cette exposition tranquille, sans trop d’œuvres pour ne pas se noyer. Mais les dix-huit artistes réunis ici offrent déjà une belle opportunité de se faire de jolies idées. Aleksandra Mir a abandonné son parapluie à seize places, Harrel Fletcher a ramené de Portland dans l’Oregon dix affiches de l’exposition imaginée à partir de ce titre sibyllin par des gens qu’il ne connaissait pas, Étienne Pressager capte des bribes de lieux et de temps, timing dicté par sa voix timide ou dessins au style quasi industriel amorçant des endroits et des choses. Nous laissant aussi le soin de combler les vides, à l’image de ce premier rendez-vous avec le proche et le lointain.

« Le proche et le lointain », BIGNAN (56), domaine de Kerguehennec, centre d’art contemporain, tél. 02 97 60 44 44, www.art-kerguehennec.com, jusqu’au 28 mars.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°556 du 1 mars 2004, avec le titre suivant : Don d’ubiquité

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