Soulages

Dans l’intimité du maître espagnol

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 22 juin 2016 - 788 mots

Voulu par Soulages lui-même dans le musée qui porte son nom, ce rassemblement d’œuvres de Picasso se propose d’entrer dans le quotidien de l’artiste, un quotidien dévoré par les femmes.

RODEZ - Il suffit de peu. Quelques lignes, deux ovales pour les yeux, un pour la bouche, une arête pour le nez et un visage surgit. La tête triste au visage blanc (Le Clown, 1907), aux traits affaissés qui trahissent un sentiment de chagrin, est un tableau minuscule (17 x14 cm). Rarement vu, il appartient à une collection privée comme son « pendant », Tête d’Indien bariolé (1907-1908), un autre visage, géométrisé, « tatoué » par des hachures diagonales. Ces deux œuvres, pratiquement contemporaines, exposées côte à côte à Rodez, se situent à la croisée de la production artistique de Picasso. La première porte encore les traces du « misérabilisme » des périodes roses et bleues, avec leurs lots de saltimbanques, figure de l’artiste qui évolue en marge de la société. La deuxième, proche d’un masque africain, confirme l’influence du primitivisme et annonce les débuts du cubisme.

Le mérite de la manifestation du Musée Soulages est d’offrir au spectateur certains travaux de grande qualité réalisés par le maître espagnol et même des surprises. Si le titre de l’exposition est plutôt banal « Picasso au Musée Soulages », la démonstration ne l’est pas. Néanmoins, cette appellation résume clairement un projet basé sur un dialogue entre Pierre Soulages et les conservateurs du musée. Comme dans tout échange, le résultat est un compromis.

L’éternel féminin
Ainsi Soulages a souhaité exclure de la thématique la mythologie, la tauromachie ou encore le paysage pour se concentrer sur les représentations au quotidien et à l’intime. Les commissaires, Benoît Decron, Aurore Méchain et Amandine Meunier ont visé une exposition monographique où « femmes au fauteuil, vues d’atelier, natures mortes, nus, portraits, sont des sujets récurrents dans l’œuvre du peintre, qui tissent un fil conducteur tout en montrant les différentes périodes qui forment son parcours ». Même si le découpage est parfois un peu forcé, il se fait vite oublier grâce à des prêts exceptionnels. De fait, les deux musées Picasso, celui de Paris et celui d’Antibes, mais aussi la famille, ont joué le jeu.

La manifestation s’ouvre sur une salle consacrée au cubisme. Selon les organisateurs, il s’agit d’une volonté pédagogique, celle de rendre familier aux nombreux scolaires qui visitent le musée cette « invention » majeure de Picasso. Une idée généreuse qui souffre cependant de l’absence d’un pan essentiel du cubisme : les papiers collés et les collages.

Suit le chapitre « Femmes au fauteuil » où la figure bascule et s’adapte aux désirs et aux fantasmes de l’artiste. Qu’il s’agisse de Femme dans un fauteuil (1927) ou du magnifique et effrayant Grand nu au fauteuil rouge (1929), ce sont des images peintes avec la plus grande hardiesse, soulignant la tension agressive du sujet, le désir de jouissance et de destruction de la chair féminine. On retrouve cette éruption de la sexualité avec les nus féminins, traités comme des corps sculpturaux disloqués. Plus qu’un dialogue, c’est une déclaration de guerre ouverte au sexe opposé, qui ne reste pas passif, loin de la Femme lançant une pierre, 1931.

Nettement plus sereine est la section « Intérieur », un peu fourre-tout, où le peintre est montré dans son atelier-demeure – la distinction entre les deux est pratiquement impossible. Ici, comme sur l’ensemble du parcours, les œuvres peintes sont accompagnées de photographies faites par Douglas Duncan et Michel Sima. Formidable acteur, même dans son intimité Picasso prend toujours la pose.

Puis, arrive un face-à-face avec des travaux étonnants qui datent tous du premier séjour de l’artiste à Antibes, en 1946. On est dans l’immédiat après-guerre et Picasso est obligé de peindre avec les moyens du bord – peinture industrielle sur un support en contreplaqué. Les trois immenses natures mortes, fortement géométrisées, sont des œuvres sèches et austères, qui dégagent une puissance monumentale. Une version post-cubiste d’un autre géant espagnol, Zurbaran ?

Rapidement, toutefois, le thème principal picassien, la femme, revient. Omniprésente ici, peut-être trop d’ailleurs, on la retrouve avec la série des têtes de jeunes filles lithographiées ou avec le bel ensemble de portraits, sur lequel s’achève l’exposition (Portrait de Dora Maar, 1937). La femme, qui reste, bien évidemment, inséparable de l’érotisme. Dans la « Suite Vollard » – des eaux-fortes sur cuivre – le rapport entre l’artiste et son modèle, la création et la pulsion scopique sont intimement liées. Chez Picasso, la puissance érotique et esthétique, les pulsions agressives et le faire artistique, aboutissent toujours à « l’imbrication des mécanismes du désir et de ceux de la représentation » (Annie Le Brun).

Picasso au Musée Soulages

Commissaires : Benoît Decron, Aurore Méchainet Amandine Meunier
Œuvres : 95

Picasso au Musée Soulages

Jusqu’au 25 septembre, Musée Soulages, avenue Victor Hugo, 12000, Rodez, tél : 05 65 73 82 60, www.musee-soulages.rodezagglo.fr, mardi-vendredi 10h-12h et 14h-18h, samedi-dimanche 11h-18h, entrée 9 €. Catalogue Musée Soulages et éd. Gallimard 176 p., 29 €.

Légende Photo :
Pablo Picasso, Grand Nu au fauteuil rouge, 1929, huile sur toile, 195 x 129 cm, Musée national Picasso, Paris. © Photo : RMN (Musée national Picasso-Paris) / Jean-Gilles Berizzi.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°460 du 24 juin 2016, avec le titre suivant : Dans l’intimité du maître espagnol

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