Citadins du monde

La France, plaque tournante

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 23 novembre 2001 - 726 mots

Au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, « Traversées » démontre à travers vingt-trois artistes et plus de cinquante participants, scientifiques, architectes ou encore écrivains, la vitalité de la jeune création en France. Conçue sur un principe d’invitation, la manifestation souligne avec justesse les jeux d’échanges et le dynamisme de la scène hexagonale, même si l’effervescence ambiante peut faire de l’ombre aux œuvres elles-mêmes.

PARIS - “Traversées” pourrait être une exposition de géographie. D’abord parce qu’elle ne s’attelle pas à une scène nationale, préférant aux strictes frontières d’un pays l’analyse d’une plate-forme aux allures de plaque tournante. Ensuite, et plus simplement, parce qu’elle s’ouvre et se ferme sur deux paysages. Le premier, assemblé par Mircea Cantor, est un rêve de loisirs et de voyage sans fin, un panoramique qui joint bout à bout et sans interruption des images de villages de vacances des quatre coins du monde. La scène, tourbillonnante, n’est évidemment la représentation d’aucun lieu physique. Cela explique sans doute son titre : Nulle part ailleurs. Le second paysage, imaginé par Cécile Paris, n’est guère plus localisable. Placardée sur un mur, la photographie d’une façade, où est inscrit sur le toit “L’univers”, tient le visiteur tout près. Elle l’accroche par le biais d’un casque audio au pied du mur, même si la musique de Fanny Adler est là pour décoller de l’image, ouvrir un hors-champ. Entre les deux, plus vaste encore est le paysage d’images conçu par Christelle Lheureux. Avec les architectes de l’agence uapS et le critique Alexandre Pollazzon – en charge de la sélection de vidéos ayant pour point commun l’Asie –, elle s’est appliquée à restituer dans l’épaisseur des cimaises l’horizon d’une métropole asiatique, comme un “château de cartes qui ne s’écroule pas”, pour paraphraser les adolescents de sa vidéo Kuala.

L’Asie ici, mais aussi l’Allemagne, la Hollande et la Suisse pour d’autres, les biographies des vingt-trois artistes invités à participer à l’exposition relativisent immédiatement tout projet d’examen d’un territoire clairement circonscrit. Paris, Marseille ou Nantes, les foyers de la création dans l’Hexagone sont évidemment représentés, mais ils ne sont pas des pôles exclusifs, seulement des étapes. Les champs d’action sont, eux, tout aussi indécis : Didier Fiuza Faustino ou l’agence Decosterd & Rahm sont-ils artistes ou architectes ? Quant à Vincent Labaume, appelé pour écrire un texte, il a finalement préféré les cimaises. Un détail dans une manifestation généreuse qui rassemble cinquante-deux invités, chaque artiste ayant eu pour charge d’inviter des collaborateurs de domaines extérieurs (scientifiques, musiciens, danseurs, écrivains...) pour la réalisation de leurs pièces.

Efferverscence et profusion
Ces entre-deux sont le moteur de “Traversées”, son intérêt, mais sa limite quant à sa réalisation et sa lisibilité. “Loin de s’enfermer dans les certitudes d’un projet abouti, cette manifestation, marquée par son caractère évolutif, laisse libre cours à l’imprévisible, aux potentialités des échanges et rencontres. Elle se vit comme un système complexe et dynamique d’apprentissage, processus et laboratoire”, postulent dans le catalogue les commissaires de l’exposition Laurence Bossé et Hans-Ulrich Obrist. Dans le musée, à commencer par la salle Dufy recyclée en médiathèque (sélection de livres opérée par Valérie Mrejen et Tanguy Viel, choix de musiques par Samon Takahashi, et de vidéos par Leonor Nuridsany), tout est là pour signifier l’effervescence, la profusion. Vertigineux, le kilomètre de peinture murale réalisé par Jean-François Moriceau et Petra Mrzyk, souhaitée comme une exposition dans l’exposition, participe pleinement au jeu. Les mises en réseaux, les passages, bref les “Traversées” voulues par les organisateurs de l’exposition sont pleinement assumés, même si ce caractère organique se fait au détriment des œuvres. Dans cet espace mouvant, les artistes ont parfois su construire dans une isolation relative (Jan Kopp et son embarcation arrondie baptisée Toï Toï Toïropa), s’imposer par leur format (Mathieu Mercier qui livre avec Caractères une typographie mutante), se poster dans les charnières (La Balayeuse de Cécile Paris) ou plus tristement se faire oublier. D’autres sont comme chez eux. Bojan Sarcevic a installé dans un angle son Coin du monde (1999), une maçonnerie itinérante qui révèle une structure sous-jacente aux cimaises du musée. Une façon d’habiter et construire à la fois partout et nulle part.

- TRAVERSÉES, jusqu’au 6 janvier 2002, Arc/Musée d’art moderne de la Ville de Paris, 11 avenue du Président-Wilson, 75116 Paris, tél. 01 53 67 40 00, tlj sauf lundi, 10h-17h30, 10h-18h45 les samedis et dimanches, www.paris-France.org/musées, catalogue, édition Paris Musées, 200 F.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°137 du 23 novembre 2001, avec le titre suivant : Citadins du monde

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