Art contemporain

Ce que le Sida a fait à l’art

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 17 janvier 2024 - 501 mots

STRASBOURG

À Strasbourg, une exposition bouleversante montre l’impact de l’épidémie sur le monde artistique.

Strasbourg. Organiser une exposition autour du sida n’est pas une tâche facile, d’autant que deux manifestations sur ce thème ont déjà eu lieu il y a très peu de temps – à Marseille (MuCEM, 2021) et au Palais de Tokyo (Paris, 2023). Pourquoi a-t-il fallu pratiquement quatre décennies pour assimiler une épidémie qui a décimé une génération, dont de nombreux artistes ? Est-ce le passage de la récente pandémie du Covid-19 qui a pu permettre de prendre un recul suffisant par rapport au sida ? Si le sida fait aujourd’hui partie de l’histoire, cette histoire reste encore en cours, malgré les grands progrès médicaux. La preuve en est l’inscription indiquant au visiteur de l’exposition le chiffre annuel de personnes encore contaminées en France par cette maladie : 50 000.

Si le parcours chronologique de l’exposition revient sur l’évolution impitoyable du sida – ses débuts avec son lot d’ignorance et de honte, puis son explosion –, il ne se limite pas à l’aspect sanitaire. Comme souvent à Strasbourg, la scénographie inventive conçue par Ian Ollivier et Lucie Rebeyrol offre des pistes multiples. La commissaire, Estelle Pietrzyk, conservatrice en chef du patrimoine au Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg (MAMCS), souhaite montrer que, malgré – ou peut-être à cause de – la menace d’une mort inéluctable, les artistes atteints ne baissent pas les bras.

« Embrasser ne tue pas… »

Il en résulte un parcours grave et festif à la fois, où les œuvres se répondent et reconstituent un univers dans lequel le sida est omniprésent et mis entre parenthèses. Cet univers s’active avant tout à la tombée de la nuit comme le rappelle le titre d’une salle – une installation ? – nommée « Je sors ce soir ». Ici, comme ailleurs, une place importante est accordée à la musique et à la danse, ces disciplines artistiques plus relationnelles qu’individuelles, en réponse à un besoin urgent face à la solitude. L’œuvre du collectif d’artistes Grand Fury, Embrasser ne tue pas, l’avidité et l’indifférence tuent (1989-1990), qui met en scène des couples hétérosexuels et homosexuels en train de s’embrasser, exprime la nécessité de se parler.

Une installation de Dominique Gonzalez-Foerster reproduit une chambre, magnifique et funéraire, consacrée à Félix González-Torres, un des artistes majeurs de la période la plus intense de l’épidémie (The Milwaukee Room, 1997). On trouve ici les écrits d’Hervé Guibert, les photos des amants de Nan Goldin et les collages d’Ernest Pignon-Ernest à Soweto.

La pléthore d’affiches, de livres, de photos ou des déclarations d’artistes rend difficile d’établir une distinction entre tous ces travaux. Leur but commun est d’alerter l’opinion publique sur la discrimination que cette maladie, en quelque sorte une version moderne de la peste, a fait naître. Mais cette distinction est-elle encore possible quand l’enjeu n’est pas esthétique mais existentiel ? Le visiteur encore un peu secoué par ce qu’il a vu peut se réconforter avec la photo de John Hanning, I survived AIDS (J’ai survécu au sida).

Aux temps du sida. Œuvres, récits et entrelacs,
jusqu’au 4 février, Musée d’art moderne et contemporain, 1, place Hans-Jean-Arp, 67000 Strasbourg.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°624 du 5 janvier 2024, avec le titre suivant : Ce que le Sida a fait à l’art

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