MOYEN ÂGE

À Bruxelles, le Moyen Âge loin des clichés

Par Olympe Lemut · Le Journal des Arts

Le 2 janvier 2020 - 857 mots

Le Musée royal d’art et d’histoire présente huit siècles d’histoire européenne et orientale d’une richesse culturelle souvent ignorée.

Bruxelles. Quel écolier n’a pas appris que le Moyen Âge était un « âge sombre » ? C’est précisément ce préjugé que l’exposition veut dissiper avec près de trois cents objets. Car même un village mérovingien de Flandre (VIe siècle) pouvait acheter des produits venus de Syrie (perles de verre), d’Italie (monnaies) ou d’Inde (grenats). Comme le souligne la commissaire Britt Claes (conservatrice des collections médiévales au Musée royal d’art et d’histoire, MRAH), « l’exposition s’est enrichie des fouilles archéologiques récentes en Belgique », d’où des pièces rarement exposées, dont celles de la tombe de « la dame de Grez-Doiceau » (Wallonie, VIe siècle).

Après la chute de Rome, émergent au Ve siècle des royaumes germaniques et scandinaves, ainsi que l’empire byzantin et le califat arabe. Slaves, Vikings, Goths ou Arabes sont présentés ici par des objets typiques de leur culture, issus pour la plupart des riches collections du MRAH : l’exposition rassemble une sélection issue de cinq musées européens, mais, à Bruxelles, des pièces ont été spécialement sorties des réserves. Une bague byzantine ornée de gemmes, des tissus arabes en lin et soie, et même une chaussette d’enfant égyptien du IVe siècle ! Britt Claes explique que « cette chaussette est exceptionnelle ; des chercheurs viennent régulièrement de l’étranger pour l’étudier ».

Interaction des cultures

Pour autant, l’exposition ne porte pas sur la vie quotidienne au Moyen Âge, et Britt Claes précise qu’il s’agit de « parler des contacts culturels, des influences réciproques à partir de la culture matérielle ». Les souverains byzantins avaient, par exemple, une fascination pour la culture antique gréco-romaine, qui transparaît dans l’architecture, les statues et les objets en ivoire. Un syncrétisme culturel présent aussi au Proche-Orient et en Égypte, où se mêlent dans les décors architecturaux christianisme et mythologie païenne. Christianisme et judaïsme entretiennent également des relations culturelles fortes, comme le montrent les belles mosaïques de la synagogue d’Apamée (Syrie) : construite au Ier siècle après J.-C., la synagogue était recouverte par une église du IVe siècle, mais occupait l’emplacement d’un ancien temple grec.

Dans un monde en pleine transformation les questions religieuses occupent donc une large place, notamment avec l’émergence de l’islam au VIIe siècle. L’islam est ici présent à travers des stèles funéraires, des manuscrits, et des tissus brodés dont certains sont très rares. Du côté de la chrétienté, l’exposition montre comment un culte des reliques s’est développé à partir du Ve siècle : les chrétiens voyagent pour se rendre sur la tombe des premiers martyrs un peu partout en Méditerranée, et ils achètent des « souvenirs », voire des reliques. Petites ampoules en céramique remplies d’huile sainte, reliquaires, médaillons de verre et croix accompagnent les pèlerins pendant leur périple entre la Flandre, l’Allemagne, l’Anatolie ou la Syrie.

Par les routes et les fleuves

Il existait donc tout un réseau de routes entre le nord de l’Europe et le Proche-Orient, hérité des anciennes routes romaines ; Britt Claes précise que « ces routes n’ont pas été abandonnées après la chute de Rome, et [que] de nouvelles routes sont apparues ». Parmi celles-ci se trouve la route de la soie, dont l’importance commerciale croît pendant tout le Moyen Âge avec l’évolution des techniques de tissage en Méditerranée. Une pierre tombale du VIe siècle rappelle ainsi le statut social d’un patron tisserand athénien. Les voies fluviales ont aussi servi les volontés de conquête commerciale ou militaire, comme en témoignent les pièces vikings exposées et le focus sur le comptoir de Dorestad près d’Utrecht (VIIIe-IXe siècles) : perles de verre, céramiques, monnaies et pièces métalliques circulaient alors dans toute l’Europe via cette ville. Les savoirs suivaient les mêmes routes, et les nombreux manuscrits exposés illustrent la variété des écritures et des langues pratiquées au Moyen Âge : papyrus grecs et coptes d’Égypte, parchemins wallons, céramiques calligraphiées iraniennes, textes médicaux arabes.

Dans ce contexte d’échanges culturels et commerciaux, les conquêtes territoriales et les guerres jouaient un grand rôle, mais l’exposition les laisse en arrière-plan. Britt Claes explique que « les contacts culturels au Moyen Âge ne sont pas assez mis en évidence en général » pour justifier que la guerre soit évoquée par de rares objets. Parmi ceux-ci cependant un crâne de guerrier belge mérovingien (VIe siècle) arbore des traces de blessures mortelles qui frappent l’œil des visiteurs au sortir de l’exposition.

Une scénographie qui favorise les connexions  

Muséographie. Si l’exposition a déjà été montrée en Grèce et aux Pays-Bas dans le cadre d’un programme européen, les commissaires Britt Claes et Alexandra Van Puyvelde ont choisi, pour le MRAH, une scénographie originale. Après un prologue en immersion sonore et visuelle dans la période mérovingienne, la grande salle propose un parcours thématique non fléché en six modules aux formes courbes. Pour le module « Foi », par exemple, une coupole en abside reçoit des projections lumineuses des symboles des trois monothéismes. Le multimédia reste discret, comme une extrapolation pour les objets les plus remarquables. Un livret de salle très complet (80 pages) permet aux adultes d’organiser leur visite, tandis que les enfants peuvent jouer à composer des mots avec les runes ou rêver devant une maquette géante de bateau viking.

 

Olympe Lemut

Crossroads, voyage à travers le Moyen Âge,
jusqu’au 29 mars 2020, Musée royal d’art et d’histoire, Parc du Cinquantenaire, 10, 1000 Bruxelles.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°536 du 3 janvier 2020, avec le titre suivant : À Bruxelles, le Moyen Âge loin des clichés

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