Art moderne

XXE SIÈCLE

Braque en bonne compagnie

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 24 avril 2019 - 778 mots

ROUEN

Le Musée des beaux-arts de Rouen raconte l’époque où Varengeville-sur-Mer était une terre d’élection pour une colonie d’artistes formée autour de Georges Braque et de l’architecte Paul Nelson.

Rouen. Malgré le titre de l’exposition, on voit peu d’œuvres de Calder ou Miró. L’atelier en question est celui de Braque, artiste dont le musée propose un excellent choix de travaux réalisés en Normandie, plus précisément à Varengeville-sur-Mer. Le peintre s’y installe partiellement à partir de 1930 et, selon Sylvain Amic, directeur des musées de Rouen, le lieu lui inspire de nouveaux thèmes – « paysages, oiseaux, antiquités, mais aussi de nouveaux matériaux pour une nouvelle pratique : la sculpture ». Même si la vision « topographique » de l’œuvre reste discutable, indéniablement la production plastique de Braque n’est pas indifférente à sa rencontre avec la nature normande.

Cependant, le but de la manifestation est d’explorer (et il faut saluer la recherche scientifique importante et précise effectuée par les organisateurs) ces moments privilégiés qui réunissent à Varengeville-sur-Mer Braque, Calder, Miró, Léger et même Hartung autour de Paul Nelson. Cet architecte américain, spécialisé dans le domaine de la construction hospitalière, fut connu pour ses recherches autour de la Maison suspendue, structure transformable et adaptable, qui inclut peinture et sculptures. Si son projet n’aboutit pas, des maquettes ont cependant été exécutées par Arp, Léger, Calder et Miró. Nelson fait découvrir en 1928 le village à Marcelle et Georges Braque, qui vont y acquérir une maison et faire construire un atelier. Puis, il y accueille les autres créateurs mentionnés avec lesquels il a des échanges amicaux et artistiques. Certes, il ne s’agit ni de communauté artistique, ni de colonie, mais d’un environnement propice à la création, surtout entre 1937 et 1940, une période bien sombre sur le continent.

Le berceau d’une œuvre

La particularité de l’exposition rouennaise est sa double articulation. D’une part, elle suit le cheminement de Braque qui en est, répétons-le, le personnage principal. D’autre part, elle s’ouvre sur différents thèmes – les rapports entre les « occupants » de Varengeville et la poésie, l’importance de ce lieu – refuge pendant la guerre, les interactions entre Miró et Calder, les vitraux de Braque…

Le parcours débute par une introduction générale, où le spectateur est familiarisé, à l’aide de photographies d’époque et de représentations peintes, avec Varengeville et ses principaux « acteurs ». Puis, on découvre une pratique moins connue de Braque : sculpture et reliefs. Sans doute, cette activité n’est pas étrangère à la capacité de l’artiste à « bricoler » avec la matière – il suffit de mentionner l’introduction du sable ou d’autres matériaux dans la pâte qu’il utilise pour la peinture ou encore son « invention », les papiers collés. On peut toutefois admettre que la rencontre avec la craie striée de lignes noires de silex qui compose les falaises en Normandie inspire ces travaux dont le thème principal est la mythologie. Parmi ces réalisations, où le geste ancestral amplifie le caractère archaïque de ces mythes grecs, les plus impressionnantes sont les stèles noires en plâtre, peintes et gravées (Héraclès, 1931). On pourrait d’ailleurs rapprocher ces œuvres de certaines toiles où Braque renverse le rapport pictural traditionnel en dessinant dans la couleur.

Un autre chapitre illustre les activités de Paul Nelson, épaulé par son épouse Francine, décoratrice elle-même. À Varengeville, Nelson est responsable de l’architecture pour l’atelier de Braque, mais surtout, c’est lui qui permet les séjours réguliers d’autres artistes. La guerre reste omniprésente ; en témoigne le dossier complet de la demande pour le permis de séjour de Miró en 1939, date à laquelle le peintre espagnol est réfugié en France. Coïncidence étonnante, Miró commence en Normandie ses splendides « Constellations » quand, à la même date (1940), son ami Calder, rentré aux États-Unis, développe le même sujet en sculpture.

La dernière partie de l’exposition n’est consacrée qu’à Braque, de plus en plus sensible à la nature. Dans un premier temps, il s’agit de la nature de proximité : le jardin. Avec ce que l’on peut nommer « Variations autour d’une chaise », le peintre crée un contraste entre cet objet banal et des éclats de couleurs étonnants (Les Chaises, 1947-1960). Suivent quelques images emblématiques, probablement ses œuvres les plus connues, celle de L’Oiseau, stylisé à l’extrême. Mais c’est sur les paysages, ces œuvres plus secrètes, peintes sur place durant les dernières années de Braque, que la présentation s’achève. De format horizontal et d’une petite taille, les rencontres entre les falaises et la plaine sont réalisées avec des couleurs mates, souvent sombres. La matière est épaisse, la touche empâtée : Paysage au ciel sombre II, 1955, évoque immédiatement Champ de blé aux corbeaux de Van Gogh. On est face au jardin secret du peintre, celui d’une intimité mise à nu, mais sans aucun pathos.

Braque, Miró, Calder, Nelson, Varengeville, un atelier sur les falaises,
jusqu’au 2 septembre, Musée des beaux-arts, Esplanade Marcel Duchamp, 76000 Rouen.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°522 du 26 avril 2019, avec le titre suivant : Braque en bonne compagnie

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