XXe siècle

Âmes sœurs

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 9 juin 2010 - 618 mots

Les frères Bram et Geer Van Velde sont à l’honneur au Musée des beaux-arts de Lyon, dans un parcours croisé.

LYON - Parce qu’ils étaient frères, Abraham (dit Bram, 1895-1981) et Gerardus (dit Geer, 1898-1977) Van Velde étaient faits du même bois. Ou plus précisément du même arbre. Comme en attestent les autoportraits et les natures mortes des premières années inaugurant le parcours de l’exposition que le Musée des beaux-arts de Lyon leur consacre, les deux peintres partageaient les mêmes racines académiques.À la différence que Geer le cadet sourit à pleines dents et ses toiles colorées exultent une énergie propre à sa jeunesse, tandis que Bram l’aîné, plus en retrait, semble d’humeur aussi sombre que ses tableaux. Que Bram et Geer aient suivi une trajectoire artistique antagoniste est indéniable : comme l’écrivent les deux commissaires de l’exposition Sylvie Ramond et Rainer Michael Mason, "Bram se dirige, à tâtons et sans appui théorique, vers la “dimension plan” qui caractérise l’art du XXe siècle, quand Geer explore les confins de l’espace tridimensionnel dans la postérité des perspectives ouvertes à la Renaissance". Le premier a besoin de s’exprimer : il cherche le soleil et fleurit sur la branche. Le second mène une démarche plus intériorisée : il puise plus profondément dans ses racines.

Si elle n’est pas la première à confronter leur œuvre, l’exposition lyonnaise s’attache cependant à vérifier le principe des vases communicants entre l’art des deux frères. Nés aux Pays-Bas à la fin du XIXe siècle, ils s’installent à Paris au milieu des années 1920. Malgré le soutien fidèle d’un mécène hollandais, Bram et Geer, dévoués corps et âme à leur art, ne sont pas épargnés par la misère. La vie de bohème et tous les clichés de rigueur sont leur lot quotidien. Ils sont proches, se soutiennent, mais restent à l’écoute de leur individualité. Le parcours ici plus ou moins chronologique et parfaitement organisé suit leurs tâtonnements respectifs : à la fin des années 1920, Bram retient la leçon de Matisse et décide d’oublier la perspective, alors que Geer, quoique moderne dans sa maniera, reste ancré dans le figuratif et l’évocation de la tridimensionnalité : ses Danseuses (1928-1929) sont à la croisée du Nu descendant un escalier (1912) de Duchamp et des Demoiselles d’Avignon (1907) de Picasso.

C’est à la fin des années 1930 que Bram trouve sa voie en renonçant définitivement à la figuration. L’ensemble de gouaches de grand format de cette époque constitue l’une des plus belles salles du parcours. Ici, Bram semble user des mots de son frère en écrivant qu’il avait "continué à chercher des images plus intérieures". À cette époque, Geer tend vers une simplification des formes : ces toiles laissent toujours deviner une réalité. Celle-ci est interprétée et non pas représentée. Rien de surprenant à ce que, des deux frères, le cadet fut le dessinateur compulsif : la vingtaine de dessins de Geer, offerts en 2005 au musée de Lyon par sa veuve Élisabeth Van Velde et Piet Moget, fondateur du Lieu d’art contemporain à Sigean (Aude) et proche du couple, est présentée dans une salle distincte. Plus on avance dans le parcours, et plus le phénomène d’osmose s’efface pour faire naître un dialogue entre les deux peintres. Dans les années 1970, Bram n’a jamais été aussi présent, charnel. Ses toiles sont chargées, presque architecturées par une couche picturale qui dégouline. Et Geer, usant de formes évanescentes et de couleurs sourdes, finit par s’abstraire.

BRAM ET GEER VAN VELDE. DEUX FRÈRES, UN NOM, jusqu’au 19 juillet, Musée des beaux-arts de Lyon, 20, place des Terreaux, 69001 Lyon, tél. 04 72 10 17 40, www.mba-lyon.fr, tlj sauf mardi 10h-18h, le vendredi 10h30-18h. Catalogue, éd. Hazan, 360 p., 330 ill., 42 euros, ISBN 978-2-7541-0484-5

BRAM ET GEER VAN VELDE

Commissaires : Rainer Michael Mason, historien de l’art et conservateur des archives Bram Van Velde ; Sylvie Ramond, directrice du Musée des beaux-arts de Lyon et conservatrice en chef du patrimoine
Scénographie : Philippe Mapfre
Œuvres : environ 150 réparties dans une vingtaine de salles

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°327 du 11 juin 2010, avec le titre suivant : Âmes sœurs

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