Rétrospective

AballÁ­ de A à Z

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 16 mars 2016 - 675 mots

Le Reina-SofÁ­a sert magistralement le travail d’Ignasi AballÁ­, avec une exposition très dense où se déploient la finesse et l’intensité d’une œuvre qui défie les catégories.

MADRID - Ignasi Aballí ne manque pas d’esprit. Si l’imposant catalogue de l’exposition que lui consacre à Madrid le Museo Nacional Centro de Arte Reina-Sofía s’ouvre, comme de nombreux ouvrages, sur un sommaire, celui-ci ne correspond pas au contenu ! Plus exactement, il s’agit de la reproduction des dix-huit pages du sommaire de l’excellente anthologie Art en théorie 1900-1990 de Charles Harrison et Paul Wood (Hazan pour l’édition française), qui regroupe quelque trois cents textes sur l’art du XXe siècle. L’ouvrage est en fait un livre d’artiste accompagné d’un second volume de textes, mais cette mystification, qui finalement n’en est pas une, traduit bien la logique de l’œuvre. Le travail se nourrit en effet de ce qui l’entoure et ne peut exister sans le processus d’appropriation qui lui est intrinsèque.

Variations infimes

Patiemment l’artiste catalan, né en 1958, fabrique depuis plus de trente ans une œuvre qui, si elle n’est pas foncièrement singulière dans la forme, l’est dans le fond. La forme tient pour beaucoup dans un vocabulaire visuel proche de celui de l’art conceptuel, fait de textes, listes, descriptions, images trouvées, fragments de journaux, pages de livres, observations… Le fond trahit une préoccupation essentielle relative à la classification qui permet de lire le monde et le quotidien, mais surtout d’en cerner les modes de construction à travers des oppositions de langage, entre le visible et l’invisible, le lisible et l’illisible, le naturel et le fabriqué…

Le titre de l’exposition se montre parfaitement programmatique en la matière. « Sans début/Sans fin », tout en revendiquant la rencontre des forces contraires, laisse ouverts les champs de la lecture, du regard, de l’interprétation.

Car si le travail d’Aballí pose comme pierre angulaire un principe, c’est bien celui d’une observation scrupuleuse et lucide du monde, de sa nature, de son organisation, de ses variations. Le blanc est-il toujours blanc ? Pas vraiment, ou du moins il en existe de nombreuses variantes, dont les différentes appellations et leur nomenclature sont dispersées sous la forme de simples textes sur les murs. Ces derniers auraient-ils été chacun recouverts de ces différents blancs ? C’est peu probable, mais qui sait finalement ? qui pourrait s’en rendre compte, le percevoir ? D’ailleurs, dans l’une des salles, une œuvre intitulée Algo (2008-2015) est constituée d’une fine couche de peinture plastique sur le mur, presque invisible elle aussi. Lui font face dix photographies d’un paysage soumis à plusieurs densités de brouillards ; ils sont à la fois tous identiques et tous différents, maniant le visible et l’invisible, l’apparition et la disparition.

Dans les interstices

L’artiste semble s’ingénier à s’immiscer dans les interstices afin d’ausculter le réel dans ses failles. Il n’est pas étonnant que plusieurs de ses travaux composés à l’aide de pages de livres encadrées s’intitulent « Entre les lignes » (Between the Lines, 2011), ou que la poussière ait été capturée  sur de grandes feuilles de papier (Puffs, 1998-2011). Plus subtil encore, Aballí a récupéré dans des papeteries les feuilles de blocs-notes couvertes de gribouillis qui servent aux clients pour tester les stylos, s’insinuant ainsi dans l’entre-deux d’un geste à la fois pourvu et dépourvu de signification : vérifier que le stylo fonctionne bien par un tracé en général nullement réfléchi et n’ayant aucun sens (Mesa de pruebas, 2015).
En amateur de listes et de classements, qui servent à décrire les choses et le monde, Aballí en a composé beaucoup, toujours à partir de mots découpés dans un seul et unique journal, El País. Intitulée « Mappemonde » (Mapamundi, 2011-2015), la plus spectaculaire et vertigineuse aligne de A à Z les noms de tous les pays du monde, répétés proportionnellement à leurs occurrences dans le journal. Sans autre forme de discours l’artiste a redessiné la carte du monde afin d’en pointer on ne peut plus pertinemment les déséquilibres, les reliefs saillants et les contrées… invisibles.

AballÁ­

Commissaire : João Fernandes, directeur adjoint au Reina-SofÁ­a
Nombre d’œuvres : 93

IGNASI ABALLÁ. SIN PRINCIPIO/SIN FINAL

Jusqu’au 27 mars, Museo nacional Centro de Arte Reina-SofÁ­a, Calle Santa Isabel, 52, Madrid, tél. 34 91 774 1000, www.museoreinasofia.es, tlj sauf mardi 10h-21h, dimanche 10h-19h, entrée 8 €. Livre d’artiste, éd. Reina-SofÁ­a, 2 volumes, 492 p., 50 €.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°453 du 18 mars 2016, avec le titre suivant : AballÁ­ de A à Z

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