Elsa Schiaparelli et les artistes

Par Colin Lemoine · L'ŒIL

Le 26 octobre 2017 - 774 mots

Publié par les éditions Rizzoli, un ouvrage polyphonique explore l’ardente coopération qu’établit la couturière Elsa Schiaparelli (1890-1973) avec les plus grands artistes du siècle. Un bréviaire de perméabilité, à méditer en dépit de ses fragilités.

La mode est à la mode. Elle investit les musées – Yves Saint Laurent (2010) au Petit Palais ou Cristóbal Balenciaga (2017) au Musée Bourdelle –, enfante des cartes blanches – Christian Lacroix au Musée Cognacq-Jay (2014-2015) – suscite des publications pléthoriques, peuple les rubriques médiatiques au même titre que la littérature et la peinture. Car la cause est entendue, et répétée à l’envi comme un mantra : la mode est un art et, à ce titre, peut revendiquer des lettres de noblesse longtemps accordées aux seuls beaux-arts.

Il n’est qu’à voir les chiffres, du reste : les investigations éditoriales ou muséales de la haute couture tutoient les sommets, à croire intarissable le vivier de lecteurs et de visiteurs acquis à la cause vestimentaire. Et, puisque les chiffres ont désormais souvent raison, pourquoi donc se passer de mariages qui, entre des beaux-arts souverains et une mode oiseuse, eussent été encore inconcevables car morganatiques il y a quelques années ? Si le présent ouvrage, publié par les éditions Rizzoli, procède d’un air du temps, échappe-t-il pour autant à la frivolité ou à l’orthodoxie ?

Orthodoxie
Reliée, cette publication de grand format (26,5 x 34 cm) dispose d’une sobre couverture noire qui héberge, en première de couverture, quatre photographies noir et blanc de pièces iconiques du style Schiaparelli, notamment la fameuse robe à imprimé homard dessinée par Salvador Dalí et, en quatrième, une liste des artistes convoqués – Cecil Beaton, Pablo Picasso ou Andy Warhol – comme des auteurs sollicités – Jean-Paul Goude, Sophie Fontanel ou Pierre Bergé, disparu en septembre.

Astucieusement, la typographie fait la part belle au rose shocking, cette couleur intense qui, devenue métonymique de la griffe Schiaparelli, habille les pages de garde comme les pages liminaires à chaque chapitre. Rose, noir et blanc composent la triade chromatique d’un livre élégant et assurément cohérent, à l’encontre des projets versicolores, trop souvent cacophoniques.

Signée Dilys Blum, conservateur au Philadelphia Museum of Art, la morne introduction laisse place à vingt et un textes, consacrés à autant d’artistes et confiés à de fins connaisseurs, souvent prestigieux, voire intimes, de l’œuvre de la couturière. Leur succèdent quelques notes, une chronologie succincte, un index onomastique, une bibliographie sélective et des remerciements. Orthodoxe, pour l’heure.

Fantaisie
Le principe est clair : en vertu de leur pedigree, de leur spécialité ou de leur promiscuité, couturiers, écrivains ou photographes tentent de faire revivre la relation singulière que noua « Schiap » avec un artiste. À Pierre Bergé le texte sur Jean Cocteau, à Paloma Picasso celui sur son père, à David Downton celui sur son confrère oublié, l’illustrateur Marcel Vertès. Cet ensemble à plusieurs voix est fatalement inégal : André Leon Talley échoue à explorer les liens entre Andy Warhol et Elsa Schiaparelli, et Suzy Menkes aborde bien naïvement l’excentrique création de Meret Oppenheim tandis que Christian Lacroix, grâce à une langue souple et à une familiarité éprouvée avec le lieu, parvient superbement à exhumer le charme estival d’un défilé dans l’hôtel de Fontpertuis de la place Vendôme, tel que Raoul Dufy le restitua dans une peinture dont on ignore malheureusement la technique et les dimensions. Cette lacune, qui vaut pour toutes les reproductions, ne saurait être anecdotique puisqu’elle les cantonne à n’être que de simples illustrations, jamais des œuvres. Dommage.

Soignée, la photogravure permet toutefois de rentrer dans un univers visuel époustouflant, où le baroque le dispute au classicisme, où la pureté graphique d’une tunique sportive, somptueusement photographiée par George Hoyningen-Huene, dialogue avec un ensemble du soir abritant un profil de femme en trompe-l’œil, imaginé par Jean Cocteau. Fantaisiste, enfin.

Excentricité
C’est un monde, tout un monde que celui dessiné par ce livre. Un monde où des artistes majeurs travaillaient à décloisonner les genres, à rendre plus beaux les vases, plus belles les lampes, plus folles les robes, plus drôle la vie. Un monde qui pouvait conjuguer l’espièglerie et la beauté, le rose et le gris, une colombe blanche et une colombe noire, comme dans ce portrait métaphorique de l’étrange Elsa par Picasso (Oiseaux dans une cage, 1937).

Le lecteur regrettera de pouvoir refermer cet ouvrage, pourtant si riche en évocations et en exhumations, sans jamais rencontrer une biographie factuelle d’Elsa Schiaparelli susceptible de lui faire découvrir, outre ses délicieux grains de beauté semblables à la constellation de la Grande Ourse, ne serait-ce que ses dates de naissance et de mort.

Un manquement dommageable pour ces passionnants mélanges qui rappellent combien la créatrice, aux côtés d’Anna de Noailles ou de Gertrude Stein, sut hisser l’excentricité en mode… de vie.

Collectif,
Schiaparelli & les artistes,
Rizzoli NY, 256 p., 200 illu., 80 €.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°706 du 1 novembre 2017, avec le titre suivant : Elsa Schiaparelli et les artistes

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