Art contemporain - Intelligence artificielle (IA)

Vies artificielles

Par Stéphanie Lemoine · L'ŒIL

Le 28 juin 2022 - 522 mots

Enghien-les-bains / Karlsruhe -  Qu’est-ce que la vie ? À cette question complexe, le Prix Nobel Paul Nurse répondait d’un ouvrage signé en 2001 qu’elle n’était pas seulement affaire de cellules, de gènes et de chimie, mais aussi d’information.

De fait, au croisement de la génétique et de la cybernétique, une nouvelle approche du vivant s’est fait jour au cours des dernières décennies. Plaçant sous un même régime, celui du code, la biologie et l’informatique, elle favorise les ponts entre ces deux champs et floute la distinction classique entre formes organiques et artefacts technologiques. Cet élargissement de la notion de vie à l’information inspire au ZKM (Karlsruhe) et au Centre des arts (CDA) d’Enghien-les-Bains une collaboration féconde en forme de double exposition : « BioMedia ». Son propos, prévient Peter Weibel, président et directeur général du ZKM, dans la version française du catalogue, n’est en aucun cas d’établir un panorama du bio-art. Il s’agit plutôt d’examiner ce vers quoi ouvre la mise en équivalence de différentes formes de vie sous le paradigme de l’information. Ou, pour le dire plus simplement : d’envisager la façon dont les artistes contemporains mobilisent les technologies pour simuler les processus biologiques. D’où la notion de média, entendue ici au sens large de « système technique ». « Le terme BioMedias désigne tout système médiatique présentant des comportements similaires à celui des organismes naturels », explique ainsi Peter Weibel. Cette volonté d’imiter la vie s’inscrit dans une lignée inaugurée avec la révolution industrielle : celle des machines en mouvement d’abord, puis des médias cinétiques, au premier rang desquels le cinéma. Les BioMédias contemporains cernés par le CDA et le ZKM soulignent tout l’apport des technologies numériques à cet élan biomimétique. Grâce à la robotique, aux intelligences artificielles, à la VR ou la réalité augmentée, les œuvres d’art peuvent non seulement interagir avec le vivant, mais aussi évoluer en toute autonomie, à la manière des cellules, des plantes et des animaux. Chez les artistes rassemblés à Enghien et Karlsruhe, cette évolution inspire deux approches au moins. Chez Anna Dumitriu et Alex May, Maija Tammi, Stephanie Dinkins, Universal Everything ou Justine Emard, la création vient sonder la relation susceptible de naître entre humains et objets technologiques. Du trouble à l’empathie, leurs œuvres sollicitent toute la gamme des interactions possibles et questionnent la possibilité d’une cohabitation, sinon d’un lien, et leurs implications éthiques. Mais, dès le seuil de l’exposition au CDA, le biomimétisme affirme aussi un autre dessein. Dans Those Who de Sascha Pohflepp, Alessia Nigretti et Matthew Lutz, des créatures artificielles mues par un algorithme naissent, vivent, coopèrent et meurent sui generi. Dans Lettres de la nature de Jérôme Van der Most et Peter Van der Putten, une intelligence artificielle (IA) égrène les adresses aux dirigeants mondiaux et leaders d’opinion pour donner voix aux fleuves, aux calottes glaciaires, aux îles, aux montagnes menacés par le changement climatique. Dans Re-Animated, Jakob Kudsk Steensen reconstitue en VR l’écosystème qui vit naître et s’éteindre une espèce disparue, le Moho de Kauai. BioMedia prend alors une tonalité élégiaque et suggère que l’imitation de la vie par les technologies pourrait en être le dernier refuge dans un monde où la biodiversité s’effondre.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°756 du 1 juillet 2022, avec le titre suivant : Vies artificielles

Tous les articles dans Création

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque