Photographie

Un patrimoine arabe

Le Journal des Arts

Le 30 avril 2004 - 677 mots

Une exposition de la Fondation arabe pour l’image au Musée Nicéphore-Niépce de Chalon-sur-Saône rénove l’approche patrimoniale.

 CHALON-SUR SAÔNE - On a déjà vu des visages du Moyen-Orient sur les murs du musée de Chalon-sur-Saône, mais il s’agissait plutôt de photographies faites là-bas par des Occidentaux, du XIXe siècle ou contemporains. Ici, tout près des reliques de l’inventeur Niépce, c’est un juste retour aux sources de la photographie et la démonstration des pouvoirs de cette invention et de sa vocation sociale, qui dresse un panorama des identités, à la fois individuelles et culturelles, de toute la région. La Fondation arabe pour l’image (FAI), créée en 1997 et basée à Beyrouth, a pour vocation la promotion de la culture photographique du monde arabe, par voie de collecte et préservation des travaux photographiques de professionnels et d’amateurs. Malgré l’indifférence à l’égard du devenir de ce médium fragile plutôt voué à la destruction programmée, plusieurs fonds (chacun pouvant contenir des milliers d’images) en provenance du Liban, de Syrie, Palestine, Égypte et Jordanie ont été rassemblés. Mais les concepteurs de la fondation se proposent aussi d’imaginer de nouvelles formes de vie pour ces archives : comment montrer un patrimoine photographique qui n’a rien d’une recherche esthétique et se dérobe à toute mise en valeur par sélection, encadrement, ostentation… C’est là qu’intervient la fonction des programmateurs-artistes de la fondation que sont Akram Zaatari et Walid Raad, en transformant le matériau originel en « œuvre » sans pour autant porter atteinte à son intégrité populaire. Un mur de plus de 4 000 portraits d’identité provenant du studio Anouchian de Tripoli trouve par exemple son expression dans la manière d’accrocher ces pièces répétitives, de les accoler, de les proposer au regard.

Artistes-arrangeurs
De cette curieuse entreprise qui pourrait engendrer a priori la méfiance, ou l’ennui, naît en fait une claire évidence des différences culturelles à travers des pratiques individualisées de professionnels du studio, ou de la rue ; on ne voit bientôt plus que les stratégies de prise de vue, bien plus passionnantes que les caractérisations des vues elles-mêmes. Avec le studio Shehrazade de Saïda (Liban) et son photographe itinérant des années 1950, on parcourt les plages où seuls les hommes, bien sûr, peuvent se pavaner en Tarzan sur un rocher de fortune, prendre la position insolite du boxeur sur ring de sable, ou s’allonger de manière apprêtée sans pouvoir mettre leurs mains dans les poches. C’est dans ces propositions standard du photographe, limitées et contraignantes, que les individus, finalement, se définissent comme différents et uniques, par leur maladresse, leur aplomb ou leur étonnement. C’est par l’évaluation des écarts que la répétition devient intéressante, et que la photographie devient un fait social sans précédent, et même un outil d’observation sociologique rétrospectif (mais ces gens d’autrefois ne sont évidemment pas différents de nous). Ailleurs, le même photographe s’en prend aux cyclistes, ou aux touristes dans des télésièges.
Autre pratique répandue aussi en Europe depuis les années 1930, la photo surprise montre les clients potentiels marchant dans la rue, libres de revenir ensuite acheter leur photo souvenir. Les 30 000 négatifs des trois photographes du studio Photo Jack, situé sur la place Tell à Tripoli, ont servi à une vidéo qui synthétise 60 images en une sorte de marche permanente, comme si les photographiés venaient à notre rencontre. Si on atteint là une limite de l’interventionnisme, les artistes-arrangeurs ont par ailleurs la sagesse de ne rien ajouter aux cent pages parfaites de l’index des photos d’identité du studio Soussi de Saïda. De plus, le catalogue, plus documenté que l’exposition, est conçu avec beaucoup de soin. Au final, des préoccupations artistiques actuelles se traduisent par une accessibilité à des pratiques populaires et leur donnent une traduction dans la langue d’aujourd’hui.

MAPPING SITTING, ATTITUDES PHOTOGRAPHIQUES AU MOYEN-ORIENT

Une interprétation de Walid Raad et Akram Zaatari (Fondation arabe pour l’image), jusqu’au 23 mai, Musée Nicéphore-Niépce, 28, quai des messageries, 71100 Chalon-sur-Saône, tél. 03 85 48 41 98, wwwwmuseeniepce.com, tlj sauf mardi et jours fériés, 9h30-11h45, 14h-17h45. Cat. Mapping Sitting. On Portraiture and Photography, Fondation arabe pour l’image, Beyrouth, 2002, 40 euros, ISBN 9953-0-0058-1.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°192 du 30 avril 2004, avec le titre suivant : Un patrimoine arabe

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