Centre d'art

Quand l’art se fait télépathe

Par Stéphanie Lemoine · L'ŒIL

Le 26 septembre 2023 - 583 mots

Au Cube Garges, une exposition préfigure un monde où le cerveau humain fusionnerait avec les outils technologiques et permettrait de créer des formes directement par la pensée.

En 2014, Julien Prévieux (né en 1974) signait What Shall We Do Next?, un ballet chorégraphique en trois séquences. Des danseurs y exécutaient un ensemble de gestes brevetés par les géants des technologies pour accompagner l’essor des écrans tactiles ou en vue d’usages futurs. On voyait leurs mains mimer dans le vide des opérations plus ou moins familières : déverrouiller son téléphone, agrandir une image, etc. Pour l’artiste français, il s’agissait d’établir « une archive des gestes à venir » et de cerner la façon dont les technologies commandent les corps. Placée en ouverture de l’exposition « Cerveau machine » au Cube Garges (95), l’œuvre prend des allures d’archéologie des médias. Elle dit l’obsolescence d’un répertoire gestuel déjà presque dépassé. Car, à peine dix ans plus tard, le développement des interfaces cerveau-machines (ICM) dessine un nouvel horizon : celui où les machines seront commandées directement par la pensée, sans recourir à la main. C’est notamment la promesse de la start-up Neuralink, créée par Elon Musk. Fin mai, celle-ci a obtenu l’autorisation de réaliser ses premiers essais cliniques sur l’humain pour tester un implant cérébral connecté. « Ce qui était de la pure science-fiction il y a quinze ans commence à être un pourquoi pas, explique Clément Thibault, directeur artistique du Cube Garges. Ce «pourquoi pas» est le sujet de l’exposition. »

Les neurosciences intéressent les artistes

Car les interfaces mentales et l’exploitation des données cérébrales par les neurosciences et l’intelligence artificielle ne cantonnent pas leurs promesses aux champs de la santé ou de l’accessibilité ; elles intéressent aussi les artistes. Le Cube Garges présente ainsi des œuvres permettant de modéliser des formes par la pensée, via des casques ou des bandeaux électroencéphalogrammes captant l’activité électrique du cerveau (EEG). Mental Garden (2022), création de la start-up française Mentalista, génère par exemple un jardin de fleurs digitales à partir des souvenirs des visiteurs, captés sous forme d’activité électrique. Dans une veine proche, Value of Values (2021-2023) de Maurice Benayoun propose de donner forme, toujours par la pensée, à l’amour, à l’argent ou à toute autre des 42 valeurs listées par l’artiste.

Donner à voir des songes

Les interfaces mentales promettent aussi de pousser un degré plus loin l’hybridation de l’homme et de la machine. Chez Neil Harbisson, elles créent des équivalences fécondes entre pensée, sons et couleurs. Atteint à la naissance d’une maladie le privant de la vision des couleurs, l’artiste s’est fait implanter une prothèse qui les traduit en sons. Au Cube Garges, il partage cette expérience grâce à un piano sonochromatique qui associe chaque note à une couleur. Parce qu’elles permettent d’approcher plus finement l’activité du cerveau, les interfaces cerveau-machine ouvrent enfin un nouveau champ aux artistes : l’exploration des territoires les plus opaques de la psyché humaine, dont le rêve. Dans Somnorama (2022), une œuvre réalisée dans le cadre d’une résidence au laboratoire culturel du Centre national d’études spatiales à partir de données cérébrales, Justine Emard (née en 1987) donne à voir les songes d’un astronaute. De ces mêmes données, Marion Roche (née en 1990) tire une sculpture évolutive, Je viens de te voir en rêve (2021). En cela, les interfaces mentales réalisent un vieux désir d’artiste, celui d’accéder directement à l’intériorité du sujet. Non plus, comme l’ont fait les surréalistes ou la Beat Generation, par l’écriture automatique ou le recours aux drogues, mais sur la base d’un simple signal électrique.

À VOIR
« Cerveau machine »,
jusqu’au 17 décembre 2023, le Cube Garges, avenue du Général-de-Gaulle, Garges-lès-Gonesse (95), www.lecubegarges.fr

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°768 du 1 octobre 2023, avec le titre suivant : Quand l’art se fait télépathe

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