Paroles d'artiste - Jean-Michel Othoniel

« J’ai toujours aimé parler de métamorphose »

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 15 mars 2011 - 805 mots

Une rétrospective de milieu de carrière, c’est ce que consacre le Centre Pompidou, à Paris, à Jean-Michel Othoniel (né en 1964), en un parcours chronologique réunissant quelque quatre-vingts œuvres permettant de balayer les différentes étapes de son travail.

JDA : Comment avez-vous envisagé l’exercice de la rétrospective ? Le parcours chronologique s’est-il imposé d’emblée ?
Jean-Michel Othoniel : Catherine Grenier [commissaire de l’exposition] et moi-même sommes partis de l’idée de recréer des ensembles, des expositions relatant différentes époques, avec à chaque fois un petit groupe d’œuvres. Cela commence donc avec l’exposition « Ateliers 88 » à l’ARC/Musée d’art moderne de la Ville de Paris en 1988, avant « Das Lapidarium » à Berlin en 1990, la « Documenta IX » en 1992, etc. Cela permet de resituer le spectateur d’aujourd’hui dans les univers de chaque période, plutôt que de prendre un fil qui aurait déstructuré le temps. Nous sommes restés dans la chronologie tout en recréant des ambiances. Une dizaine d’espaces s’enchaînent donc, avec, présentées dans le dernier, des œuvres nouvelles permettant d’échapper à l’aspect un peu « plombant » de la rétrospective.

On sort de l’exposition avec l’impression d’avoir parcouru un monde assez hybride, tel un univers de contes et légendes dans lequel pénètre abruptement la réalité du corps. Avez-vous également ce sentiment ?
J.O. : Dans cette relecture de mon travail, il y a justement ce rapport au merveilleux vers lequel je suis allé ; en même temps, cette exposition me permet d’assumer mes monstres. Les contes sont liés à cette image à double versant, d’une chose apparemment simple mais en fait compliquée, ou apparemment belle mais simultanément monstrueuse. Il y a effectivement cette lecture dans les œuvres.

Cette présence du corps est très visible au début du parcours, avec des doigts en cire, de nombreux motifs évoquant des mamelons sur des Post-it ou des tableaux en cire. Elle est encore perceptible lorsque vous passez à des pièces en verre. Pourquoi ce thème constant ?
J.O.
:
Je dirais que c’est un peu cette idée du « gender » [genre] qui, en fin de compte, est assez présente dans mon travail. Cela a peut-être été plus mis en avant dans les expositions aux États-Unis qu’en France. On retrouve encore dans les œuvres nouvelles des traces de travaux anciens : un rapport à la blessure, ou le motif du sein par exemple. Il s’agit de trouver un symbole hermaphrodite pour une chose pas aussi évidente et claire qu’elle en a l’air. Il y a donc cette idée d’un positionnement par rapport à cette question que d’autres artistes de ma génération se sont beaucoup posée.

Vous n’avez jamais traité directement cette question du genre. Comment avez-vous souhaité l’aborder ?
 
J.O. : On voit en effet dans cette exposition que je n’aborde jamais les choses de front mais que tout se fait de biais, par métaphore. Au début, mon travail avait souvent été qualifié de poétique, à juste titre puisque la métaphore poétique [figurant] dans le titre même des œuvres me permettait d’échapper à la dure réalité à laquelle ma génération a été confrontée. Un des fondements de mon travail porte tout de même sur comment l’on se construit en tant qu’artiste et en même temps en tant qu’homme ; avec cette idée de mythologie personnelle dont les portes ont été ouvertes par des artistes comme Annette Messager. Il importe de voir comment, en parlant de soi, on touche des thèmes forts de l’époque. Évidemment il y a ce rapport à l’absence, à la perte, à la maladie. Tout cela, qui était évident au départ, a petit à petit été sublimé.

On trouve dans votre travail des sculptures en soufre, des objets en cire, des interrogations sur la photographie…, puis le passage au verre au milieu des années 1990. Ces matériaux et techniques sont-ils des interrogations à chaque fois spécifiques ?
 
J.O.
:
J’ai toujours aimé parler de métamorphose, et donc des matériaux qui se métamorphosent et passent du solide au liquide pour redevenir solides. Ils portent eux-mêmes en essence cette caractéristique de la chose qui n’est jamais sûre en fin de compte, qui est toujours mouvante. Cela correspond également à une position en art, non frontale mais diagonale. J’ai toujours utilisé des matériaux qui étaient comme l’essence des choses, comme si les sculptures portaient dans leur ADN la problématique de l’œuvre. On a souvent l’impression qu’il s’agit d’un jeu sur les matières, mais celles-ci sont tellement proches du sens même des œuvres qu’elles sont pour moi indissociables. Ces enchaînements de matières portent l’idée de mutation ; il s’agit d’apparaître différent à chaque fois, de ne pas être forcément où l’on vous attend.

JEAN-MICHEL OTHONIEL, MY WAY

Jusqu’au 23 mai, Centre Pompidou, galerie d’art graphique, galerie du musée, place Georges-Pompidou, 75004 Paris, tél. 01 44 78 12 33, www.centrepompidou.fr, tlj sauf mardi 11h-21h. Catalogue, 264 p., 39,90 euros.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°343 du 18 mars 2011, avec le titre suivant : Paroles d'artiste - Jean-Michel Othoniel

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