Paroles d’artiste

Lee Bul

« Le corps est aussi un endroit d’où l’on peut parler »

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 30 novembre 2007 - 763 mots

À la Fondation Cartier, à Paris, l’artiste coréenne Lee Bul revient sur la faillite des utopies dans un univers à la fois sombre et scintillant, avec une absence de temporalité revendiquée.

Comment avez-vous conçu le projet de cette exposition ?
Dans mes œuvres précédentes, j’ai toujours été intéressée par les puissances surhumaines et les mécanismes qui conduisent à l’idéalisme. J’ai voulu développer ces concepts et pour ce faire j’ai choisi un thème pour cette exposition : « Mon grand récit ». C’est une citation du philosophe Jean-François Lyotard, qui a toujours dit qu’on ne pouvait pas écrire l’histoire avec un grand H. J’ai commencé à penser à mes idées il y a trois ou quatre ans. Et en visitant la fondation, j’ai trouvé qu’il y avait des points communs entre le thème que je voulais traiter et ce bâtiment de Jean Nouvel. J’ai donc conçu toutes mes œuvres en pensant à cet espace.

« Mon grand récit » semble s’ancrer dans des questions relatives à l’idéalisme et aux utopies ?
Je voulais, en effet, parler de la société et de l’être humain idéals, mais je voulais tout d’abord souligner l’échec de l’aspiration utopique. Comment, malgré la puissance des engagements, ne parvient-on pas à atteindre la réalisation du projet idéaliste ? Car c’est une notion irréalisable, le mot lui-même indique qu’il s’avère irréalisable.

L’idéalisme a-t-il à voir avec l’humanisme ?
Idéalisme et humanisme sont des notions inséparables. Le rêve utopique et le rêve de super-puissances humaines sont toujours des préoccupations pour moi. Or, je voulais évoquer les êtres humains dans ces œuvres. C’est une idée ancienne que je souhaitais concrétiser en prenant une approche plus moderniste.

À propos du modernisme, on perçoit dans votre travail un glissement de la présence très directe du corps vers son environnement, donc vers l’architecture. Pourquoi cette évolution ?
La notion du corps existe bel et bien dans cette exposition mais, en effet, certainement y a-t-il une évolution du corps vers l’architecture. Je voulais avoir une approche plus large et développer ces termes. Avant, je traitais le corps, mais pas le corps physique. J’ai souhaité aborder ici une sorte d’expansion du corps humain à l’architecture. Car le corps est aussi un endroit, comme l’architecture, d’où l’on peut parler.

Est-ce que l’architecture est la forme ultime de l’utopie ?
Je ne pense pas que ce soit une forme ultime de l’utopie. Cependant, l’architecture est toujours conçue vis-à-vis des idéalismes. Quand on construit, il faut toujours penser aux êtres humains et à bâtir en harmonie avec eux. C’est la raison pour laquelle c’est un domaine qui tend toujours vers l’idéalisme.

Votre installation est très scintillante, entre bijoux et mobilier décoratif. Vous intéressez-vous à l’aspect décoratif, ainsi qu’à l’idée d’artifice ?
Tout d’abord, l’artificiel implique la création de quelque chose, qui donc ne peut pas être naturel. Quant à l’aspect décoratif, il n’est vraiment pas fondamental pour moi. Ce sont plutôt les matières qui m’intéressent. Cristal, miroir, verre, etc., suscitent des reflets très intenses et provoquent des jeux de lumières. Dans ce bâtiment de verre, on peut jouer avec les effets de miroir et les reflets. Dans la journée, quand vous regardez depuis l’extérieur, vous avez l’impression que tous les objets rentrent dans l’espace, alors que pendant la nuit tous les reflets sortent. Je voulais accentuer ces effets. C’est aussi pourquoi le sol est en miroir. Et les œuvres créent également des contrastes et des reflets, comme Heaven & Earth, qui traite de la situation politique coréenne, avec une baignoire remplie d’encre noire. C’est comme si ces reflets nous renvoyaient à notre image, à nous-mêmes.

Le spectateur est donc très important dans tout ce dispositif ?
Oui très. Le spectateur participe de ces œuvres. Il se voit lui-même à travers tous les reflets. Et je voulais mettre l’accent sur les détails des reflets pour qu’on puisse se découvrir soi-même.

Il y a dans l’exposition une temporalité très curieuse. On n’arrive pas à savoir si on est dans le présent, le passé, avec en plus ces accents futuristes...
Absolument. Je n’ai pas voulu mettre de chronologie dans mes travaux. Une œuvre parle du passé, mais peut aussi évoquer du futur. Un fait des années 1950, par exemple, peut incorporer des messages futuristes. C’est pourquoi je n’ai pas voulu insérer de notion temporelle. Il en va de même pour le cadre : intérieur et extérieur, tout est mélangé dans l’espace.

LEE BUL – ON EVERY NEW SHADOW

Jusqu’au 27 janvier 2008, Fondation Cartier pour l’art contemporain, 261, bd Raspail, 75014 Paris, tél. 01 42 18 56 50, www.fondation.cartier.com, tlj sauf lundi 11h-20h. Catalogue à paraître.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°270 du 30 novembre 2007, avec le titre suivant : Lee Bul

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