Profession

Tabletier

Jadis florissante, cette spécialité artisanale des métiers du bois est perpétuée par un dernier vétéran parisien

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 30 septembre 2009 - 728 mots

Une scie à pédale datée de 1830, des meubles de métier noircis par la poussière d’ébène, un stock de bois précieux, quelques pièces d’orfèvrerie en attente.

Le temps semble s’être arrêté dans l’atelier de Daniel Barnola, niché dans une arrière-cour du Marais, à Paris. Un endroit qui a réussi à échapper aux rénovations, à deux pas du Centre Pompidou. Pourtant, à 76 ans révolus, le dernier tabletier de Paris continue à exercer avec enthousiasme ce métier exigeant dextérité et patience. Une voie dans laquelle il s’est engagé à l’âge de 14 ans. Alors que plus d’un aurait opté depuis plusieurs années pour la retraite, pourquoi persiste-t-il encore à travailler ? « Par devoir moral, en souvenir de tous mes anciens compagnons, car tout le monde a disparu, explique l’intéressé. Et les orfèvres, les antiquaires et les collectionneurs ont besoin de moi. » Daniel Barnola est en effet le dernier représentant de l’un de ces petits métiers artisanaux qui animaient autrefois les rues du quartier populaire qu’était alors le Marais. « Un quartier de gens qui se salissaient les mains », se souvient celui qui a résisté, pression foncière oblige, à plusieurs tentatives de relogement. La tabletterie était une spécialité assez courante, consistant à travailler le bois tourné, l’os ou l’ivoire – désormais régi par la Convention de Washington (1977) portant sur les matériaux réglementés – pour réparer ou façonner à la main des manches de cafetière ou autres pièces de forme d’orfèvrerie. Certains professionnels, ainsi les bimbelotiers, s’étaient aussi fait une spécialité de la fabrication d’objets en matériaux précieux tels que les montures d’éventail, les boutons, les pommeaux de canne, les échiquiers, les objets pour fumeurs ou encore les montures de lunettes. Comme pour le travail de la nacre, la tabletterie parisienne était également alimentée par de nombreux ateliers situés dans l’Oise (lire le JdA no 307, 10 juillet 2009, p. 38). Une activité florissante s’était par ailleurs développée dans le Jura, une production qui s’est aujourd’hui industrialisée.

Théières en argent
Entré en 1948 en apprentissage dans la maison Nicoud, créée à Paris en 1832 et qui comptait alors plus d’une dizaine d’employés, Daniel Barnola en a repris les rênes au début des années 1970. « Progressivement, tous les anciens sont partis », raconte ce dernier, qui travaille seul depuis longtemps. « Comme mes clients ne veulent pas payer cher, je n’ai jamais embauché ! », se justifie-t-il. L’atelier continue donc à tourner, au ralenti, à des horaires confortables, ponctués de nombreuses vacances. « C’est sans doute pour cela que j’ai tenu le coup ! », souligne Daniel Barnola. Quand ce dernier tabletier raccrochera-t-il définitivement son tablier ? Difficile d’obtenir une réponse. Peut-être lorsque son stock de bois précieux – ébène, macassar, palissandre… (soit aucun bois blanc) – sera épuisé, ou quand l’une de ses antiques machines rendra l’âme… Après, il n’y aura pas de successeur et le matériel finira chez un brocanteur ou un ferrailleur. Sans descendance, Daniel Barnola ne transmettra pas son atelier. « On ne peut plus former des jeunes à ce métier », explique-t-il. Que deviendront alors ses clients ? « Ils ont mangé du sucre sur mon dos pendant toutes ces années, alors ils se débrouilleront ! », lance-t-il, sans amertume. N’a-t-il pas souhaité postuler au titre de maître d’art, décerné par le ministère de la Culture pour pérenniser ce type de métier rare ? « J’ai reçu le dossier, mais les titres ne m’intéressent plus »… Dans le calme de son atelier, Daniel Barnola continue donc à façonner entièrement à la main de curieuses pièces de bois. Les gestes sont inlassablement répétés. Après avoir dessiné son gabarit, il choisit une pièce dans son stock puis procède à la découpe et à l’ajustage. La forme est ensuite exécutée à la râpe, à la lime et au papier de verre. Polie, celle-ci est percée et montée sur l’objet auquel elle est destinée. En moyenne, chaque pièce requiert au moins deux heures de travail. Ceci pour réparer les manches de précieuses théières en argent ou les pièces isolantes en corne d’une cafetière orfévrée. « Des objets passés de mode que plus personne n’utilise, à part dans les films ! », sourit-il, sans cultiver la nostalgie d’une époque révolue.

Formation
Il n’existe plus de formation initiale en tabletterie artisanale. Celle-ci est souvent confondue avec la tabletterie industrielle (fabrication de coffrets, jouets ou autres objets en bois).

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°310 du 2 octobre 2009, avec le titre suivant : Tabletier

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