Profession

Ebéniste d’art : faire feu de tout bois

Le Journal des Arts

Le 13 juin 2003 - 849 mots

Dans le cadre de notre rubrique consacrée à un métier de la culture, nous vous invitons aujourd’hui à découvrir celui d’ébéniste. Introduite au XVIIe siècle par les artisans flamands présents à Paris, la technique de l’ébénisterie consistait à l’origine à plaquer les meubles de fins panneaux d’ébène (1). Cette spécialité donna son nom aux ébénistes, d’abord appelés “menuisiers en ébène”?.

Plus polyvalents que leurs prédécesseurs du Grand Siècle, ils exécutent aujourd’hui des meubles en bois massif comme en bois plaqué, et assurent l’ensemble des étapes de la fabrication, du bâti au décor : choix du bois et du modèle, tracé grandeur nature du meuble à exécuter, découpage et corroyage (2) des pièces, travail éventuel de placage (3), “montage à blanc” (les pièces de bois sont juxtaposées afin de vérifier leur parfait ajustement), assemblage et collage. La finition est quant à elle souvent confiée à un artisan spécialisé : marqueteur, monteur en bronze, sculpteur ornemaniste, doreur.
Le métier exige donc des aptitudes en dessin, ainsi qu’une parfaite connaissance des différentes essences de bois (bois courants, tel le chêne et le merisier, ou bois précieux et exotiques, comme le bois de rose, de violette, d’acajou) et des techniques employées dans le mobilier. Précision et dextérité manuelle se révèlent également indispensables dans une profession qui n’autorise aucune approximation. Mais, si la rigueur et l’excellence technique sont les qualités nécessaires d’un bon artisan, “aujourd’hui plus que jamais, pour pouvoir créer, l’ébéniste doit avoir une grande ouverture d’esprit, visiter les musées et ne pas s’inspirer uniquement des styles du passé”, affirme Jean-Claude Kervroëdan, à la tête de son propre atelier depuis 1989. Un apprentissage très pointu auprès de François Germond, ébéniste et restaurateur de meubles, lui a permis d’acquérir les tours de main et savoir-faire d’une tradition séculaire.
Fabriquant des pièces uniques ou du mobilier sur mesure, il allie ces techniques anciennes à des formes et des matériaux modernes, épurant ses volumes et recherchant des essences de bois originales ou méconnues. Ainsi de son Cabinet blanc (prix Bettencourt en 2000-2001), qui joue sur d’audacieuses associations de couleurs (blanc et rouille) et de matériaux (sycomore et fer à béton). Séduisant une clientèle d’amateurs ou de collectionneurs, ses réalisations restent cependant isolées dans un milieu dominé par la copie de meubles anciens. “Si le métier d’ébéniste a beaucoup évolué sur le plan de l’outillage et des matières premières, les mentalités n’ont pas beaucoup changé. Les ébénistes vivent encore au XVIIIe siècle, fabriquant dans leur très grande majorité du mobilier de style. Ce sont désormais les architectes et les designers qui proposent de nouveaux modèles. De créateurs, les ébénistes sont devenus des exécutants”, s’insurge Jean-Claude Kervroëdan.
Il n’est pas le seul à faire ce constat. Né en 1980 de l’association de Francis Ballu, ébéniste, Rémi Colmet Daage, architecte, et Martin Spreng, menuisier, le groupe Xylos stigmatise lui aussi l’appauvrissement du mobilier, où triomphent soit les meubles de style, soit les créations destinées à l’édition en série. “Pour perdurer, le métier d’ébéniste doit être créatif. Or les formations proposées actuellement incitent peu les jeunes à faire preuve d’innovation (lire l’encadré). Et les musées ne soutiennent pas les initiatives originales et créatrices”, déplorent les membres du groupe. Leurs créations sont particulièrement appréciées des collectionneurs, sensibles à leur ingéniosité. D’une apparente simplicité, elles sont les dignes héritières des meubles à transformation du XVIIIe siècle : les tables s’agrandissent grâce à un système mécanique interne, les sphères font office de cave à cigares et les cubes se métamorphosent en tables de jeu... “Nous privilégions des formes qui ne sont pas en adéquation avec la fonction du meuble, ainsi que des matériaux nouveaux comme les fibres de verre ou de carbone”, précise le groupe. Une audace et une inventivité qui rajeunissent l’ensemble de la profession...

(1) L’exposition “Les arts décoratifs sous Louis XIII et Anne d’Autriche”, présentée au Grand Palais à Paris lors du printemps-été 2002, montrait les premiers meubles d’ébénisterie apparus en France, tels les cabinets d’ébène à deux portes, production phare de l’époque.
(2) Les pièces sont aplanies et rabotées afin de les mettre aux dimensions voulues.
(3) Les placages, ou feuilles de bois minces, sont assemblés et collés selon l’effet décoratif désiré : frisage (fait de motifs géométriques à tracé droit) ou marqueterie.

Les formations au métier d’ébéniste

Plusieurs diplômes préparent à cette profession : le CAP, le Brevet des métiers d’art (BMA), le Brevet technicien des métiers (BTM), le bac professionnel “artisanat et métiers d’art option ébéniste”?, le Diplôme des métiers d’art (DMA) “arts de l’habitat option décors et mobiliers”?, ou encore le BTS “systèmes constructifs : bois, habitat et ameublement”?. La liste complète des lycées et écoles préparant au métier d’ébéniste est disponible sur le site de la Société d’encouragement aux métiers d’art (SEMA), www.metiersdart-artisanat.com, 23 av. Daumesnil, 75012 Paris, tél. 01 55 78 86 07. Parmi les établissements les plus réputés, citons l’École Boulle, 9 rue Pierre Bourdan, 75012 Paris, tél. 01 43 46 67 34, et la Maison des Compagnons du devoir, 1 place Saint-Gervais, 75004 Paris, tél. 01 48 87 38 69. À lire, Le Courrier des métiers d’art, n° 195 (dossier “Bois”?), janvier-février 2001.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°173 du 13 juin 2003, avec le titre suivant : Ebéniste d’art : faire feu de tout bois

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