Patrimoine

Yannick Lintz : « Les Arts de l’Islam est un projet nouveau et fort pour frapper les esprits »

Par Marie Zawisza · L'ŒIL

Le 23 novembre 2021 - 738 mots

PARIS

Directrice du département des Arts de l’Islam du Louvre, Yannick Lintz est commissaire générale des expositions de la saison « Arts de l’Islam, un passé pour un présent ».

Dix-huit expositions sur les arts de l’Islam dans dix-huit villes de France seront présentées au public. Quelle est la genèse de ce projet, qui est aussi politique ?

C’est une réflexion commune avec Matignon autour des actions culturelles et éducatives à mener pour mieux faire connaître l’Islam. Elle s’inscrit dans la continuité du discours des Mureaux du président de la République, le 2 octobre 2020, dans un contexte post-Samuel Paty. Il est vrai qu’on peut s’étonner qu’un gouvernement appelle la directrice d’un département du Louvre ! Mais il faut se souvenir que la création même du département des Arts de l’Islam par Jacques Chirac en 2003 et son ouverture dans un nouveau bâtiment en 2012 s’inscrivaient dans un projet politique. Les arts de l’Islam ont dans leur dénomination même le mot « islam », qui résonne aujourd’hui de façon un peu ambiguë… Il s’agit pour nous de refléter à travers les œuvres une civilisation, une culture, des époques, des territoires, dans un contexte particulier d’islamisme et d’islamophobie.

Pourquoi avez-vous choisi ce format d’expositions simultanées ?

Nous aurions pu faire une grande exposition parisienne, ou même une exposition itinérante. Mais il fallait un projet nouveau et fort pour frapper les esprits : révéler cette civilisation à travers un choix restreint d’œuvres des collections publiques françaises, partout sur le territoire, en même temps. Pour intéresser un public qui ne va pas forcément au musée, on doit toucher les personnes en allant au plus près, dans une mobilisation nationale.

Comment avez-vous monté ce projet ?

Mon rôle est celui d’un chef d’orchestre : j’ai défini les thématiques que je voulais développer, puis les dix-huit villes participantes se sont approprié le projet. Chacune a un co-commissaire qui n’est pas spécialiste des arts de l’Islam, mais qui est un conservateur. Ces commissaires ont tous été très actifs. Ils ont notamment cherché les œuvres dans les collections en régions : en dix mois, on a découvert plus d’œuvres islamiques en France qu’en trente ans !

Quels sont les messages portés par ces expositions ?

On n’est pas dans une narration classique, mais dans un choix d’œuvres qui deviennent les ambassadeurs d’un sujet. Les messages qu’elles portent sont au nombre de quatre. Le premier : montrer l’Islam dans sa diversité culturelle. Il ne se limite pas au monde arabe, mais s’étend sur trois continents, de l’Espagne à l’Inde. Le deuxième : banaliser l’art islamique, c’est-à-dire montrer qu’il n’est pas seulement un art strictement religieux : il est tantôt sacré, dans un contexte religieux, tantôt profane, quand il est créé pour les palais ou les collectionneurs… comme l’art européen ! Troisièmement, s’il est considéré comme un art extra-européen, il n’est pas pour autant exotique : on le trouve dans nos collections publiques françaises ; donc il est aussi un héritage français. Enfin, dans la mesure où l’on veut s’adresser aussi à un public jeune, il nous a semblé important de montrer la création contemporaine, qui est très vivante.

L’art peut donc changer la vie ?

S’il ne résout pas tout, il ouvre les esprits. Ne rien faire alors qu’on a la plus grande collection islamique au monde et simplement attendre le visiteur me semblerait irresponsable. On voit des représentations du Prophète dans de grandes peintures iraniennes, turques ou arabes : il me semble important de le montrer aux jeunes. J’ai toujours eu besoin de sentir que j’avais une utilité sociale et politique : au-delà du pur plaisir personnel, esthétique et scientifique, en tant que fonctionnaire, je sers l’État. Ce n’est pas une croisade, mais un pas de côté. On ne sait pas quel rôle on joue dans l’esprit, la réflexion, l’émotion d’une personne. Aussi devons-nous avoir la même modestie que les professeurs, qui découvrent parfois des années plus tard le fruit de leur enseignement.

Expos

« Arts de l’Islam, un passé pour un présent » est une exposition dans toute la France coproduite par le Louvre et la RMN-GP. Du 20 novembre au 27 mars 2022, expo-arts-islam.fr


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C’est le nombre d’œuvres qui seront présentées dans chacune des dix-huit expositions, précédées d’un film immersif de 4 minutes.

 

« Évoquer le lien entre la France et les arts islamiques, c’est tirer le fil d’un dialogue entre des cultures qui s’enrichissent mutuellement depuis plus de treize siècles. »Le Premier ministre Jean Castex, au sujet de l’exposition.

Thématiques

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°749 du 1 décembre 2021, avec le titre suivant : Yannick Lintz : Les Arts de l’Islam est un projet nouveau et fort pour frapper les esprits

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