Un Cranach retrouvé aux USA

Le Journal des Arts

Le 7 janvier 2000 - 594 mots

La découverte en Caroline du Nord d’un Cranach qui aurait été \"acheté\" pendant la guerre par un proche d’Hitler, revendu ensuite à un marchand new-yorkais puis à un collectionneur de Beverly Hills, renforce le sentiment de l’opinion publique américaine que de nombreuses œuvres d’art pillées durant la Seconde Guerre mondiale par les nazis pourraient se trouver aujourd’hui dans leur pays.

NEW YORK (de notre correspondant) - Le tableau n’est autre que Vierge à l’Enfant dans un paysage, exécuté vers 1518 par Lucas Cranach l’Ancien, actuellement exposé au North Carolina Museum of Art, à Raleigh, qui l’a estimé 750 000 dollars. Il est réclamé par deux sœurs – non identifiées – vivant à Vienne, qui affirment que le tableau a appartenu à leur grand-oncle Philipp Gomperz, un collectionneur viennois ayant fui l’Autriche avec une de ses nièces en 1938. Le Cranach a été confisqué par la Gestapo, placé dans une galerie privée puis acheté en 1942 par un dignitaire nazi, le Gauleiter Baldur von Schirach. Après le conflit, Schirach a été emprisonné pour crimes de guerre, et l’œuvre vendue au marchand new-yorkais Siegfried Thalheimer. Ce dernier l’a revendue à un autre marchand, Abraham Silberman, qui l’a à son tour cédée à George Khuner, un juif autrichien de Beverly Hills, qui l’a fait authentifier par William Valentiner, fondateur en 1955 du North Carolina Museum of Art.

À la mort de l’épouse du collectionneur, le tableau a été donné au musée de Raleigh. Au cours des années cinquante, des agents du FBI se sont renseignés auprès des marchands new-yorkais qui avaient eu le Cranach en mains, mais ils ont abandonné leurs recherches lorsqu’Abraham Silberman leur a expliqué qu’il l’avait vendu à un client californien. Sa trace a été retrouvée par la commission chargée par le Congrès juif international de la recherche des œuvres spoliées. Le bureau des dépôts de plaintes des victimes de l’Holocauste, à New York a été chargé de la procédure de restitution de l’œuvre.

La découverte dans les musées d’œuvres pillées pendant la guerre n’étonnera personne à New York, Boston ou Chicago, mais en Caroline du Nord, ce genre d’événement fait les gros titres de la presse. Le musée de Raleigh peut s’attendre à subir des pressions, même si, pour l’instant, les deux sœurs n’ont pas entamé d’action en justice.

Citant la recommandation de l’Association américaine des directeurs de musées, qui estime que les litiges relatifs au pillage d’œuvres d’art pendant l’Holocauste doivent être réglés hors des tribunaux, un avocat spécialisé dans ce type d’affaires rappelle que de nombreux documents en faveur des deux sœurs ont été réunis : “Si l’on s’en tient à l’intention des musées de régler ces litiges hors des tribunaux, cette affaire ne pose pas de problème. Mais si, dans le cas présent, on ne parvient pas à négocier, alors, rien n’est négociable”.

Pour l’instant, aucun musée américain n’a identifié dans ses collections d’œuvres d’art pillées pendant la guerre. Par ailleurs, les musées qui se sont vus dans l’obligation de restituer des œuvres volées par les nazis y ont été contraints par la justice. Le conseil juridique chargé de défendre les droits des deux sœurs vient de l’État de New York, qui n’ira certainement pas intenter un procès à l’État de Caroline du Nord afin que le tableau soit rendu aux héritières, à Vienne. Toutefois, les journaux viennois qui s’étaient opposés à ce que les œuvres d’art volées aux familles juives par les nazis et retrouvées dans des musées autrichiens soient rendues à leurs propriétaires, réclament à présent le retour dans leur pays du Cranach, en tant que patrimoine culturel.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°96 du 7 janvier 2000, avec le titre suivant : Un Cranach retrouvé aux USA

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