Triennale - Architecture

L’ACTUALITÉ VUE PAR

Taro Igarashi, directeur artistique de la Triennale d’Aichi

« Les gens oublient l’accident. On veut le leur rappeler »

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 15 octobre 2013 - 773 mots

Professeur d’architecture à la Tohoku University de Sendai, au Japon, Taro Igarashi est le directeur artistique de la deuxième Triennale d’Aichi.

Taro Igarashi (né en 1967 en France) enseigne l’architecture à la Tohoku University de Sendai, à 80 km de Fukushima, au Japon. Il est le directeur artistique de la deuxième Triennale d’Aichi, qui se tient jusqu’au 27 octobre dans divers lieux des villes de Nagoya (principalement) et d’Okazaki. Cette manifestation internationale pluridisciplinaire mêle arts plastiques, performances et opéras.

Les œuvres exposées sont très liées aux événements de mars 2011 ; est-ce volontaire ?
Oui bien sûr, beaucoup d’œuvres sont rattachées à ce tremblement de terre. Pour les Japonais, c’est un désastre majeur. Nous avons été touchés trois fois, par le tremblement de terre, par le tsunami, et enfin par l’accident à la centrale nucléaire de Fukushima. J’ai voulu profiter de l’Aichi Art Centers pour reconstituer cette centrale nucléaire, ce qui aurait été impossible à Tokyo ou Osaka, dépourvues d’espace aussi vaste. Mais le thème de cette triennale n’est pas uniquement lié à ce cataclysme, il est plus large et se rapporte à toutes les crises et menaces dans la vie des gens aujourd’hui. Chaque site de la Triennale possède ses propres caractéristiques. Au Aichi Art Centers sont présentées des œuvres en rapport direct avec le thème de la Triennale, alors que d’autres lieux se concentrent sur le travail de mémoire. Les gens ont tendance à oublier cet accident. On veut le leur rappeler.

Les œuvres portent-elles une critique du gouvernement et de la société japonaise ?
Plusieurs œuvres font référence à la centrale nucléaire de Fukushima, mais sans porter de critiques ou de jugements de valeur. Ceux-ci relèvent du champ politique. Il y a une limite à ce que l’art peut faire. Nous essayons juste de sensibiliser les gens à la présence d’une centrale nucléaire à proximité de chez eux. Mais il est vrai que de nombreux visiteurs nous disent qu’il y a des œuvres antinucléaires. Certains nous font même le reproche d’utiliser l’argent public à des fins de propagande. Le titre original en japonais de la triennale est « Shaking Earth » (« Ébranler la terre »). L’œuvre de Kohei Nawa, par exemple, ne comporte pas de message politique ou social. Les visiteurs peuvent voir dans cette immense surface de sable noir, d’où émergent des formes blanches (faites de mousse), le commencement de la Terre.

Cette Triennale a-t-elle une visée locale, ou bien internationale ?
Le tremblement de terre et le tsunami sont des accidents naturels, fréquents au Japon, qui surgissent dans le cycle de la vie et l’on ne peut rien faire contre. En revanche, un accident nucléaire relève de la technologie de l’homme et peut survenir partout dans le monde. En ce sens, les conséquences de l’accident de Fukushima peuvent être partagées internationalement, comme le furent celles de Tchernobyl et de Three Miles Island (Pennsylvanie). Cependant le Japon a aussi l’expérience de la mort nucléaire avec Hiroshima et Nagasaki.

Quel est votre propre lien avec le tremblement de terre de 2011 ?
L’université dans laquelle je travaille a été touchée par le tremblement de terre, et nous étions justement en train d’enseigner l’architecture préfabriquée. En ce sens, je suis l’une des victimes de cette catastrophe. Après le tremblement de terre, j’ai pu observer directement les dégâts.

Que serait une « bonne » biennale, ou triennale ?
En général, ces événements affichent une thématique, mais souvent les œuvres ne sont pas en rapport avec le thème. Les œuvres présentées à Aichi 2013 sont vraiment liées à notre thème. Voilà ce que doit être une bonne biennale.

Vous n’êtes pas un spécialiste d’art contemporain ; comment avez-vous choisi les œuvres ?
C’est une grosse exposition et je n’ai pas été le seul à choisir les œuvres. Dans le domaine des arts plastiques, il y a quatre autres commissaires. Mais c’est moi le décideur final ayant défini le thème de cette triennale, même si nous formons une équipe et que nous avons beaucoup discuté. Nos curateurs sont allés en Europe dans les différentes manifestations, et notamment à Cassel [pour la Documenta 2012].

Pourquoi les Triennales d’Aichi et de Setouchi (proche d’Aichi) ont-elles lieu quasiment au même moment ?
Il y a beaucoup de biennales et triennales au Japon, il est difficile de se coordonner. Avec les organisateurs de Setouchi 2013, nous avons discuté de la possibilité de séparer les deux manifestations, mais nous avons considéré qu’il était intéressant que les deux triennales se déroulent au même moment. Les visiteurs de Tokyo peuvent aller visiter Setouchi et, dans leur voyage de retour, celle d’Aichi 

Propos traduits du japonais vers l’anglais par Mitoko Wada

Légende photo

Taro Igarashi. Photo D.R.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°399 du 18 octobre 2013, avec le titre suivant : Taro Igarashi, directeur artistique de la Triennale d’Aichi

Tous les articles dans Actualités

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque