L'actualité vue par

Samuel Sidibé, directeur du Musée national du Mali à Bamako

« La notion de “musée universel”? est ambiguë »

Par Philippe Régnier · Le Journal des Arts

Le 11 décembre 2007 - 1266 mots

Samuel Sidibé est, depuis 1987, directeur du Musée national du Mali à Bamako, le plus important musée d’Afrique subsaharienne (hors Afrique du Sud). Il a effectué des études d’histoire de l’art et archéologie à l’université de Clermont-Ferrand et est titulaire d’un doctorat de 3e”¯cycle en histoire des sociétés africaines de l’université de Paris-I. Très engagé dans la lutte contre le pillage et le trafic illicite du patrimoine culturel malien, il est membre de la commission des acquisitions du Musée du quai Branly, à Paris. Samuel Sibidé commente l’actualité.

Vous êtes directeur du Musée national du Mali, à Bamako. Quelle est votre position sur la question de la restitution par les musées occidentaux des trésors nationaux issus de pays comme le vôtre ?
La question de la restitution des œuvres aux pays d’origine est posée depuis plusieurs décennies, en particulier dans le cadre des institutions internationales comme l’Unesco, sans que l’on ait trouvé jusqu’à présent une réponse satisfaisante. C’est pourtant un problème important pour les pays comme le Mali dont des éléments irremplaçables du patrimoine se trouvent à l’étranger. Il y a un droit humain légitime pour les populations d’origine de connaître et d’apprécier les trésors de leur culture. Cela n’est pas contestable. Il est vrai que le contexte juridique et le statut des collections publiques en particulier n’offrent pas de perspective pour la restitution. Mon avis est que les musées du Nord doivent être conscients qu’il y a une exigence de plus en plus forte pour les pays d’origine de jouir de leurs trésors culturels et que cette exigence ne fera que croître. Il faut anticiper en favorisant la circulation des œuvres.

Que pensez-vous de la notion de « musée universel » théorisée par les directeurs de ces grands musées occidentaux ?
La notion de « musée universel » est ambiguë et finalement inacceptable si elle est destinée à refuser le débat de la restitution et le droit des civilisations productrices de jouir de leurs créations. En quoi le Musée du quai Branly à Paris, le British Museum à Londres ou le Metropolitan Museum of Art à New York sont-ils universels ? Est-ce parce qu’ils possèdent des collections originaires du monde entier ? Je crois que l’universalité réside non dans la diversité des collections, mais dans la possibilité que celles-ci soient accessibles au plus grand nombre y compris aux populations d’origine. Combien de Maliens – pour ne parler que de ceux-là – peuvent avoir la chance de visiter ces musées ? A contrario, si la notion de musée universel recouvre la nécessaire circulation des œuvres entre les pays détenteurs et les pays d’origine, oui je peux partager la notion. Hélas, c’est loin d’être encore le cas. À quelques très rares exceptions près, les œuvres des musées du Nord ne circulent pas dans les musées du Sud.

Les Occidentaux recourent souvent à l’argument de la mauvaise conservation des œuvres dans les musées africains pour justifier la garde de ces objets. Quel est votre point de vue ?
J’ai souvent entendu cette argumentation. Je reconnais que les musées africains doivent faire d’importants efforts pour se professionnaliser et améliorer les conditions de conservation et de sécurité de leurs installations. Je voudrais cependant rappeler que, sur ce plan aussi, des pas importants sont réalisés. Le Musée national du Mali, par exemple, présente de mon point de vue des conditions acceptables pour accueillir des œuvres en toute sécurité. Mais je crains que ce type d’évolution ne soit suffisant. J’ai le sentiment que l’argument est, dans la bouche de nombreux responsables de musées européens, politique, afin de pouvoir refuser la circulation des œuvres vers les pays d’origine. En tout état de cause, la question de la sécurité est pour l’essentiel une question technique. Si l’on admet comme postulat qu’il y a une justice à ce que les musées africains présentent à leurs publics les trésors de leur culture conservés dans les musées européens, je suis persuadé que les questions techniques peuvent trouver leur solution. Par ailleurs, l’amélioration de la situation des musées africains est liée à leur intégration dans le réseau international des musées.

De nombreuses pièces archéologiques présentées dans votre musée sont issues de pillages. Comment peut-on lutter contre ce fléau à la base ?
La lutte contre le pillage des sites archéologiques est une question difficile. Parce que ce n’est jamais une bataille gagnée. C’est un travail de longue haleine. Ce que nous essayons de faire, au-delà des aspects juridiques et réglementaires visant au contrôle de l’exportation des objets, c’est de sensibiliser les populations à la nécessité de protéger les sites. Ces dernières années, un travail important a été accompli, qui, de mon point de vue, permet de penser que le message sur la protection du patrimoine est compris par un plus grand nombre. Naturellement, cela ne suffit pas, en raison des intérêts en jeu. Il nous faut travailler à mettre en œuvre une politique plus forte de présence sur le terrain à travers le développement de la recherche archéologique, la création de musées régionaux et locaux, ceci afin d’asseoir une politique éducative donnant plus de place à la connaissance du patrimoine.

Une fois ces objets mis sur le marché de l’art, la convention Unidroit vous semble-t-elle efficace ?
La convention Unidroit est un outil utile, bien que nous ne l’ayons pas encore utilisée de manière concrète.

Vous accueillez en ce moment l’exposition internationale des Rencontres africaines de la photographie de Bamako (1). Souhaitez-vous renforcer l’ouverture de votre institution vers l’art contemporain ?
Oui. La création contemporaine est une dimension importante de la culture. Je ne regarde pas le musée comme une institution qui ne doit s’occuper que du passé. C’est vrai que telle est, historiquement, la vocation du musée. Mais j’ai la ferme conviction que les musées en Afrique, en l’absence d’institutions consacrées à création contemporaine, ne doivent pas s’enfermer dans la préservation et la promotion du seul passé. En s’offrant comme un lieu d’expression de la création contemporaine, le musée réconcilie le public avec son présent au lieu de lui renvoyer seulement une image de son passé. L’exposition qui a précédé celle dédiée à la photographie était ainsi une exposition d’art contemporain présentant les œuvres de douze artistes africains venus du nord et du sud du Sahara.

Votre musée est essentiellement visité par des étrangers. Entendez-vous renforcer votre communication et vos activités en direction des Maliens ?
Le musée, que ce soit au Mali ou ailleurs, n’est pas une institution facile. Il est trop souvent perçu par les résidents comme un lieu de découverte pour les étrangers. Ce rôle essentiel, nous devons continuer à le jouer, mais vous avez raison, une part très importante (60 % environ) de notre public est constituée d’étrangers, de touristes. Nous essayons de diversifier nos activités en direction du public local pour l’attirer. Outre nos actions orientées vers le monde scolaire et universitaire, nous organisons des activités culturelles qui attirent de plus en plus de Maliens. L’exemple des « Jeudis musicaux » est de ce point de vue intéressant. Les « Jeudis musicaux », c’est un concert gratuit qui a lieu en plein air tous les jeudis au musée. Il attire parfois près de mille personnes, surtout des jeunes, venus des quartiers environnants. Ce n’est pas encore un public qui entre dans les salles d’exposition, mais il prend l’habitude de venir au musée. Cela est important. Il faut créer l’habitude de venir au musée quelles que soient les raisons pour lesquelles on vient.

Quelles expositions vous ont marqué récemment ?
J’en ai vu plusieurs. Je voudrais citer la présentation inaugurale des collections du Quai Branly avec des œuvres remarquables. Peut-être qu’il y en a un peu trop et que la dimension historique des choses n’est pas suffisamment prise en compte.

(1) lire le JdA no 268, 2 novembre 2007, p. 17

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°271 du 14 décembre 2007, avec le titre suivant : Samuel Sidibé, directeur du Musée national du Mali à Bamako

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