Société

Restaurant chic, fresque raciste

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 2 mars 2022 - 609 mots

Depuis la vague iconoclaste qui a déferlé en 2020 sur une grande partie de la planète, musées et institutions s’interrogent pour savoir comment y répondre.

Comment conserver le passé tout en marquant une distance, est-il suffisant d’exposer l’œuvre d’art contestée en l’expliquant ou faut-il commander une intervention à un artiste qui irait jusqu’à la contredire ? En Europe, Amérique ou Asie, plusieurs institutions ont déjà formulé leurs réponses et la décision que vient de prendre la Tate Britain de Londres au sujet de la fresque de Rex Whistler s’inscrit dans ce nouveau paradigme. En France, nous attendons avec intérêt les initiatives du nouveau directeur du Palais de la porte Dorée, l’ex-Musée des colonies.

À Londres, à côté de sa cafétéria où nous pouvons déguster un honorable fish and chips, la Tate Britain proposait un restaurant plus onéreux avec des mets et des vins raffinés. Celui-ci était orné d’une fresque réalisée en 1927 par Rex Whistler (1905-1944), restaurée en 2013. L’Expédition à la poursuite de viandes rares exalte la partie de campagne exotique d’aristocrates, de bourgeois à la recherche de nourritures dépaysantes à travers le monde. Une peinture, des couleurs et une ambiance idéales pour encourager un repas fin. Et la Tate Britain se flattait d’offrir le « lieu le plus divertissant d’Europe » jusqu’à l’été 2020. Une pétition dénonçait des fragments de la fresque et, sage, demandait non sa destruction mais son déplacement. Parmi les 17 mètres de longueur de l’ouvrage, Rex Whistler avait peint un enfant noir enchaîné au cou et obligé de courir derrière un char antique, un autre les mains ligotées et tiré par une femme blanche, des esclaves servant docilement leurs maîtres...

En 2018, la Tate Britain s’était fendue d’un texte explicatif. Le jeune Rex Whistler, âgé de 22 ans, n’avait fait que reproduire l’imagerie du monde de l’après-Première Guerre mondiale dans lequel il vivait. Cela n’avait pas suffi et les pétitionnaires s’indignaient que la bonne société puisse continuer à se repaître devant ou derrière une telle fresque raciste. Le Covid-19 est venu à point, obligeant le musée à fermer son restaurant et lui permettant de mettre en place un groupe de travail. Celui-ci vient de décider de confier à une ou un artiste le soin de réaliser une installation répondant de manière critique à l’œuvre contestée, dans ce lieu, qui ne sera désormais plus un restaurant. Le procédé est intéressant. Dans le groupe de travail – cinq membres –, seul le directeur de la Tate Britain était Blanc. L’artiste élu sera-t-il forcément de couleur ? De quelle nature sera son interprétation ? Son intervention, va-t-elle, elle, échapper aux stéréotypes de son époque ? Réponse l’hiver prochain.

L’imagerie et le message de Rex Whistler évoquent ceux qui ornent le Palais de la porte Dorée : la longue frise de la façade exaltant la faune et la flore de l’Empire français cultivées par de dociles indigènes pour la patrie, à l’intérieur les peintures chantant les bienfaits du colonialisme. Le Palais a été construit en 1931 au sud-est de Paris pour la grande exposition coloniale internationale. Aujourd’hui, il abrite le Musée national de l’histoire de l’immigration. « C’est un monument de propagande coloniale, le plus grand et le plus beau de France. Préservons-le ! C’est un lieu parfait pour parler de colonisation », juge son nouveau directeur, l’historien Pap Ndiaye (Le Monde du 19 mars 2021). « Débattre du déboulonnage des statues, c’est passionnant ! Pas pour confronter des positions binaires – déboulonner ou pas –, mais pour comprendre pourquoi la question se pose et imaginer des propositions créatives. » Quelles propositions créatives va-t-il nous annoncer pour réinterpréter un tel bâtiment, témoignage emblématique de l’Art déco et de la colonisation, bien encombrant ?

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°584 du 4 mars 2022, avec le titre suivant : Restaurant chic, fresque raciste

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