Paris : décision sans appel pour l’hôtel de Beauvais ?

Le Journal des Arts

Le 2 juillet 1999 - 1059 mots

La restauration s’arrête là où commence l’hypothèse. Ce principe de la Charte de Venise, souvent bafoué dans les monuments historiques, le sera-t-il une fois de trop à l’hôtel de Beauvais ? Tout le laisse craindre maintenant que les permis ont été délivrés, malgré les critiques émises sur le projet de transformation de l’édifice. Laissera-t-on dénaturer ce chef-d’œuvre de l’architecture du XVIIe siècle, comme on laisse AXA abîmer l’hôtel de La Vaupalière ?

PARIS - Depuis le début de l’année, un panneau placé devant l’hôtel de Beauvais, rue François-Miron, dans le IVe arrondissement, informe les passants qu’un permis de démolir et de construire a été délivré en février 1999, annonçant un engagement prochain des travaux sur ce chef-d’œuvre de l’architecture française du XVIIe siècle. Ainsi, les débats et les contestations opposant historiens et architectes depuis plusieurs années auront été vains pour empêcher la dénaturation qui se prépare, plus radicale que celle opérée dans l’hôtel Hénaut de Cantobre voisin, abritant la Maison européenne de la photographie. Construit par Antoine Le Pautre entre 1656 et 1660, l’hôtel de Beauvais avait été transformé en 1805 en immeuble d’habitation. Les deux étages de la façade d’origine étaient alors devenus trois. Et des locataires ont occupé les lieux jusqu’en 1987, date à laquelle l’état du bâtiment a rendu nécessaire leur expulsion. La Ville de Paris, qui a toujours souhaité installer une institution dans ce fleuron de son patrimoine, a alors cherché en vain un locataire qui se chargerait d’accomplir les travaux de réhabilitation. Un bail emphytéotique de 75 ans a finalement été signé avec l’État pour y installer la cour administrative d’appel de Paris. Las, le monument n’offre pas les volumes nécessaires à l’indispensable salle d’audience. Qu’à cela ne tienne, Bernard Fonquernie, architecte en chef des Monuments historiques chargé de l’étude préalable, a tout simplement proposé de restituer les deux étages initiaux. Avec une réserve toutefois, les sculptures, ôtées au cours du XVIIIe siècle, ne seront pas refaites. “Ce retour sur le passé est une aventure”, déplore l’historien Jean-Marie Pérouse de Montclos. D’une part, il induit la destruction de tous les planchers, sans souci des traces archéologiques qu’ils recèlent, d’autre part, il nécessite le remplacement quasi total des pierres de la façade. On s’apprête ainsi à revenir à un état intermédiaire entre celui de Le Pautre et celui de 1805, et à supprimer cette façade Empire qui, sans être exceptionnelle, a le mérite d’être authentique. Une opération dont le coût laisse songeur : 110 millions de francs, soit autant que pour la restauration de toute la façade de Notre-Dame de Paris. La Culture supportera 30 % de cette charge, donnant ainsi raison à Claude Mignot qui déplorait dans la Revue de l’Art (n° 123) : “L’argent nécessaire aux restaurations d’urgence est utilisé pour effectuer ces restitutions inutiles, hasardées ou hasardeuses, voire ces dénaturations aberrantes”.

Car les restitutions hasardeuses ne manquent pas dans ce chantier. Il est vrai que les documents concernant l’hôtel de Beauvais ne sont pas légion. Aussi l’architecte a-t-il imaginé le dôme disparu de la chapelle et créé de toutes pièces l’avant-corps, également disparu, qui donnait sur la rue de Jouy.
La destruction de l’escalier du XIXe oblige par ailleurs à prolonger celui du XVIIe qui s’arrêtait au premier. Quant à la balustrade sur la cour, qu’elle ne soit connue que par des descriptions a suffi pour en proposer un nouveau dessin. Pourtant la Charte de Venise précise que la restauration “s’arrête là où commence l’hypothèse”. Verra-t-on une Direction du Patrimoine, attachée à défendre la place de l’architecture contemporaine, cautionner ce qui s’apparente à une résurgence néo-Louis XIV ou à un manifeste du “style Monuments historiques” ? “Viollet-le-Duc n’est pas mort. Mais ses successeurs connaissent moins bien l’architecture ancienne que lui”, ironise Michel Fleury, président de la Commission du Vieux Paris.

“Notre objectif premier est de sauver le bâtiment”, affirme François Goven, sous-directeur des Monuments historiques au ministère de la Culture. Sous prétexte de sauver un monument qui n’a pas été entretenu depuis cinquante ans, et dont les planchers et les boiseries ont été pillés sans vergogne, on s’apprête donc à lui faire subir l’ultime outrage. M. Goven a beau jeu d’affirmer que “la honte, c’est l’état actuel du bâtiment”, alors que l’État, parfois si prompt à lancer des injonctions aux propriétaires privés de monuments historiques, n’a pas jugé utile d’obliger la Ville de Paris à entretenir l’hôtel de Beauvais, avant qu’il n’en devienne lui-même locataire. Michel Fleury, qui dénonce “l’impéritie criminelle de l’État”, constate qu’en France, “on n’entretient pas un bâtiment sans affectation administrative”. Si le ministère s’abrite derrière l’avis favorable de la Commission supérieure des Monuments historiques, M. Pérouse de Montclos, qui en est membre, dénonce l’absence d’“un débat scientifique et sérieux”. “J’ai découvert le dossier en séance”, se souvient-il.

Au-delà des choix de l’architecte et des démissions de l’administration, c’est l’affectation du bâtiment qui est en cause. Le jour où les conseillers d’État emménageront, les espaces seront déjà trop petits. Rapidement, ils pourraient être tentés de s’étendre dans les immeubles voisins, au détriment du logement. Drôle de politique de la ville qui consiste à remplacer de l’habitat par des administrations. Le plus cocasse, c’est l’autorisation délivrée par le comité de décentralisation afin de transporter la cour d’appel du XVe au IVe arrondissement de la capitale. Une conception originale de la décentralisation. Si les futurs occupants ont été sur le point de jeter l’éponge il y a quelques mois, irrités par la longueur des discussions et l’impossibilité de concilier les différentes positions des spécialistes, aujourd’hui, la machine administrative est lancée et rien ne semble pouvoir l’arrêter. Seuls des appels d’offres infructueux sur certains lots retardent le début des opérations, apprend-on auprès de l’agence de M. Fonquernie.

L’hôtel de Beauvais n’est pas malheureusement le seul à subir les affres d’une “réhabilitation”, plus sensible au prestige du lieu qu’au respect scrupuleux de l’architecture ancienne. Dans le VIIIe arrondissement, AXA a décidé de s’installer dans l’hôtel de La Vaupalière, construit par l’architecte Louis-Marie Colignon à la fin du règne de Louis XV. “L’administration des Monuments historiques a trouvé naturel de mutiler des boiseries classées pour câbler tout l’immeuble et installer un système d’aération”, tempête Michel Fleury. Sans parler de la verrière, à la fois “inutile et chère”, qui doit être installée sous peu au-dessus de la cour et qui masquera une partie du bâtiment. Des dommages qu’une bonne assurance ne suffira pas à réparer.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°86 du 2 juillet 1999, avec le titre suivant : Paris : décision sans appel pour l’hôtel de Beauvais ?

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