Photographie

Moonlight shadows

Par Gisèle Tavernier · Le Journal des Arts

Le 29 octobre 2008 - 707 mots

Mis à l’honneur à Paris Photo, le livre de photos connaît un véritable engouement au Japon. En écho à l’édition nippone, Sarah Moon publie un imposant coffret chez Delpire.

Au cœur d’un marché spéculatif depuis 2004 l’édition photographique japonaise fait florès. Mis à l’honneur au salon Paris Photo 2008, son éventail créatif va des chefs-d’œuvre graphiques des années 1950 à la vision contemporaine de l’imagerie nippone.
Summum du livre-objet, Chizu [La carte] de Kikuji Kawada a fait date lors de sa parution le 6 août 1965. Vingt ans après la bombe atomique d’Hiroshima, ce fameux reporter de l’agence Vivo rend compte de l’impact dans un magma visuel d’une puissance inédite. Un poème du futur Prix Nobel Kenzaburô Oe enrichit les inventions du graphiste Kohei Sugiura : enfermées dans un étui à rabats noirs illustrés d’une carte topographique, les photographies dépliantes de Kawada prises entre 1961 et 1963 montrent les vestiges d’une humanité réduite à néant : un casque fondu, le soleil noir d’un drapeau japonais vitrifié, des murs consumés dressent « la carte » d’un lieu de mémoire universel. La libraire Tissato Nakahara a mis la main sur une rare édition originale cotée 30 000 euros en ventes publiques.

Sortant du lot des nouveautés commerciales éditées pour Paris Photo, les Portraits d’Asakusa (2008) de Hiroh Kikai se découvrent chez Steidl-ICP (265 pages, 56 euros). De 1973 à 2007, ce photographe primé a scruté la rue de ce haut lieu historique des marginaux et des excentriques de Tokyo, en capturant au vol toute une typologie en noir et blanc. Devant le mur d’un temple, les « gueules » de rockers et de dockers alternent avec les figures de vieilles grâces des arts traditionnels. Tôt influencé par Diane Arbus, Hiroh Kikai (né en 1945) en cinéphile féru d’Ozu, Fellini et Andrej Wadja révèle un sens personnel du plan et du détail qui font parler l’image mieux que la légende, humanisant chaque rencontre avec ce monde évanescent.

Plus caustique que critique, l’artiste montante Tomoko Sawada (née en 1977) raille la tradition japonaise du mariage arrangé sur le déclin, avec Omiai. Sous ce titre rose « girlie » accolé à un cœur mièvre est parodié l’album de portraits que le marieur soumet à la famille des candidats (éditions Seigensha, 2005, 36 pages, environ 40 euros). En trente autoportraits, cette émule grimée de Cindy Sherman interroge le rôle des apparences en mimant les stéréotypes de la classe moyenne : l’air effacé, Sawada en kimono certifie des souches japonaises ou caricature la gestuelle de l’O. L. – Office Lady – l’employée de bureau modèle promue femme au foyer à l’âge de 25 ans. Une vie se joue sur une image insidieuse visant à discriminer la pureté ethnique comme la condition sociale.

Une beauté voilée
Sur le mode « East meets West » les images de Sarah Moon tirées du coffret 1, 2, 3, 4, 5 venant de paraître chez Delpire se prêtent à une mise en regard poétique avec l’œuvre de Masao Yamamoto à la galerie Camera Obscura jusqu’au 6 décembre. Sarah Moon ne photographie pas le Japon. Pourtant les scènes fugitives intemporelles « Un jour de Noël, le poisson-lune, une chambre d’hôtel, la nuit qui tombe » de son livre 1, 2, 3, 4, 5 couplant le mystère à l’obscurité sont l’illustration du « yûgen » zen renvoyant à une beauté voilée. Cinq volumes plus un DVD de son film Mississipi One sont réunis dans un étui (120 euros). « Ce livre n’est pas une rétrospective. En cinq temps et un seul mouvement, il va de la promesse à la consécration », avertit Robert Delpire, l’éditeur et compagnon de toujours de cette photographe qui s’est rendue célèbre en forgeant l’image de marque de Cacharel dès les années 1970. Au fil des 486 pages peuplées d’héroïnes de Pabst lunaires, d’enfants perdus graciles, de chemins ne menant nulle part, cette conteuse rembobine le film mortifère de sa vie. Ces Polaroïds en décomposition exhalent cette mélancolie du présent qu’exprime l’« awaré » nippon. Coincïdence troublante, même les oiseaux de mauvais augure y planent sur l’œuvre testament Karasu [Les Corbeaux] de Masahisa Fukase. Le clap de fin s’opère sur d’actuelles icônes de mode réalisées pour Vogue ou Haarper’s Bazaar qui redonnent des couleurs à la vie.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°290 du 31 octobre 2008, avec le titre suivant : Moonlight shadows

Tous les articles dans Actualités

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque