L’actualité vue par Pascal Pesez et Laurent Moszkowicz, coprésidents de la FRAAP

Les artistes veulent moins de précarité

« L’enjeu est la clarification du statut de l’artiste »

Les rencontres annuelles de la Fédération des réseaux et associations d’artistes plasticiens (Fraap) sont l’occasion de prendre le pouls d’une profession qui attend des pouvoirs publics davantage de soutien. Pascal Pesez et Laurent Moszkowicz, coprésidents de la Fraap, s’en expliquent dans nos colonnes. Les artistes suivent en particulier avec attention les réformes en cours de leur régime social.

La Fédération des réseaux et associations d’artistes plasticiens (Fraap) rassemble 160 associations d’artistes en France. Le Journal des Arts était invité à ses rencontres inter-associatives annuelles, organisées à Reims le 5 juin par ses deux coprésidents. Pascal Pesez est peintre, mais aussi cofondateur et directeur de l’association Acte de Naissance qui gère le centre d’art L’H du siège, à Valenciennes. Laurent Moszkowicz est artiste, ainsi que fondateur et longtemps responsable des arts plastiques à La Malterie, à Lille.

En août, le centre d’art de Chelles fermera définitivement. Au vu du nombre d’institutions en difficulté, n’y a-t-il pas trop de centres d’art ?
Laurent Moszkowicz
: Bien sûr que non ! Ce ne sont pas un Frac par région et un centre d’art par grande ville qui peuvent mener à bien toutes les missions d’accessibilité à la culture, surtout en zones rurales ou périurbaines comme à Chelles.

Les artistes mis en avant par les centres d’art et dont la cote a grimpé depuis, ne pourraient-ils pas revenir contribuer pour pallier leurs difficultés financières ?
L. M. : Cette idée pose la question d’un outil de suivi des artistes et des œuvres produites. L’idée est intéressante, mais ne peut être exclusive. L’artiste ayant acquis une forte visibilité serait comme la reine d’une ruche et ceux plus modestes les ouvrières, qui nourrissent artistiquement la population. Or la politique publique en arts plastiques est élaborée trop loin de ces ouvrières, et trop pensée en fonction du marché de l’art.

C’est-à-dire ?
Pascal Pesez :
L’œuvre exposée dans un centre d’art participe d’abord du bien commun, avant d’être un objet sur un circuit marchand. Le système de la subvention est lié à la reconnaissance du projet d’une structure qui raisonne en termes d’intérêt général. Faire entrer la création dans le circuit marchand va à l’encontre de la mission d’intérêt général du centre d’art. D’un côté, il y a l’économie de l’œuvre et de l’autre l’économie de l’artiste. La Fraap veille d’abord à ce que cette dernière soit viable. Avant de parler de l’œuvre, il faut   faire appliquer le droit d’auteur et le droit de présentation publique, ce qui n’est pas le cas sur le territoire national.

Justement, il arrive régulièrement qu’un centre d’art ou un Frac fasse produire une œuvre nouvelle à un artiste (qui en reste logiquement propriétaire) et demande à la galerie de rembourser les frais en cas de vente suivant l’exposition. D’un côté, la compensation semble logique. De l’autre, n’a-t-on pas un système qui marche sur la tête, avec des galeries privées qui délèguent le risque à des centres d’art publics ?

L. M. : D’abord, un contrat est le fruit d’une négociation entre acteurs responsables. Il y a deux ans, la Direction générale de la création artistique s’est réunie avec la Fraap et l’Usopav (Union des syndicats et organisations professionnelles des arts visuels), ainsi que le Comité des galeries d’art, pour évoquer les contrats de production. C’est un premier pas vers une considération de tous les acteurs. Dans l’absolu, Il faudrait partager les risques a priori avec les galeries qui représentent les artistes. Mais les cas sont trop différents pour pouvoir généraliser.
P. P. : La situation est complexe surtout parce que les contrats entre artiste et galeriste sont peu formalisés, comme l’ont été pendant longtemps les contrats les liant aux centres d’art. On le voit une fois encore, l’enjeu réside dans la clarification du statut de l’artiste.

L’évaluation des centres d’art n’est-elle pas insuffisante, puisqu’il faut davantage justifier les dépenses, à l’heure où les crédits se contractent ?
P. P.
: Il faut articuler le quantitatif et le qualitatif avec prudence. Si dans un musée, l’importance du chiffre se justifie dans certains cas, il en va différemment dans les centres d’art. Ce sont des lieux de recherche et d’innovation, d’expérimentation. Leur relation avec le public doit être une multiplication d’expériences de qualité. Faire venir des bus par centaines n’implique pas une bonne politique des publics. Pour un élève qui vient plusieurs fois, reste plus longtemps, dialogue, l’expérience est bien plus pertinente. Le qualitatif doit rester l’objectif, et l’évaluation aller dans ce sens.

Cette absence d’évaluation n’explique-t-elle pas l’image élitiste des centres d’art ?
L. M.
: L’élitisme perçu vient de l’ignorance. On en parlait déjà lors des entretiens sur les arts plastiques, sous Frédéric Mitterrand. Seule une connaissance meilleure des réalités de chacun formera des élus compétents dans ce domaine : qu’est-ce qu’un Frac, un artiste, son économie ?
P. P. : Avant les départementales et en vue des régionales, nous avons organisé en 2015 des échanges avec tous les sièges nationaux des grands partis (hors FN). Il a fallu batailler pour obtenir certains rendez-vous, mais ce travail de fond d’éducation des élus est la clé pour éviter une vision populiste de la politique culturelle.

On a souvent le sentiment que la France n’aime pas les artistes de milieu de carrière, leur préférant les jeunes sortis de l’école. À quand un Whitney à la française ?
P. P. : c’est un vrai déficit qui n’est pas lié à l’époque. Le soutien à la jeune création est fondamental, mais nous sommes frappés par le nombre de projets imposant des limites d’âge. Il existe un défaut de visibilité pour toute une génération d’artistes, lié à un manque d’ambition politique, comme en témoigne la faible diffusion hors de France. Les régions mettent en place quelques aides à la mobilité et l’Institut Français dispense quelques aides, mais c’est rare.

Un paradoxe apparaît : plus la culture se décentralise, plus les acteurs sur le terrain semblent en appeler à l’État et se défier des élus locaux. Comment l’expliquez-vous ?
P. P. : Sans doute parce que trois dénis se cumulent. D’abord, la loi sur la création a été vidée de son contenu sur les arts plastiques, par rapport aux premières réunions. Aujourd’hui, plus un mot à notre sujet. Ensuite, le déni budgétaire, alors que le désengagement de l’État n’est pas intégralement compensé par les régions et que l’impact de la réforme territoriale sur le secteur culture est encore très flou. Enfin, l’État ne joue pas son rôle d’un point de vue exécutif : lorsqu’il y a censure, lorsqu’on voit des abus non suivis d’intervention, le préfet devrait décrocher son téléphone et taper du poing sur la table. A fortiori en période de désengagement, l’État ne doit pas limiter son rôle à la question budgétaire, on devrait entendre la ministre aussi sur ces sujets.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°438 du 19 juin 2015, avec le titre suivant : Les artistes veulent moins de précarité

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