Créateur de mode

Le mois vu par Sonia Rykiel

Par Le Journal des Arts · Le Journal des Arts

Le 1 janvier 1996 - 889 mots

Sonia Rykiel est l’invitée de la sixième édition des \"Janviers de Bourgogne\" à Chalon-sur-Saône. Une exposition évoquera l’univers du créateur de mode, son atelier, présentera ses artistes préférés – Blais, César, Aki Kuroda, Soulages… – et montrera son \"image\" à travers des photographies. À cette occasion, Sonia Rykiel commente l’actualité du mois.

Quel intérêt portez-vous à la manifestation de Chalon-sur-Saône – qui vous donne une sorte de "carte blanche" – par rapport à d’autres expositions qui vous ont été consacrées dans le passé ?
Il ne s’agit pas d’une rétrospective, je déteste le mot. Ce qui m’intéresse, c’est la réflexion qui s’engage à partir du moment où vous posez les choses à plat, où vous les avez sous les yeux. Dans le travail que nous faisons, nous pouvons  retrouver les vêtements par la vidéo ou le dessin, mais il est vrai qu’il est intéressant parfois de les retrouver en vrai, en nature.

On ne sait pas toujours où on en est, notre trajet est plutôt chaotique, avec des montées et des descentes. Poser les choses à terre permet de s’interroger : voilà ce que je suis, voilà ce que je fais, voilà ce que je peux faire. Nous faisons deux collections par an, on les montre, mais on n’a pas le temps de réfléchir. Une collection, c’est un défilé de vingt minutes pour six mois de travail.

Vous n’avez pas le temps de vous mettre devant la robe et de vous demander véritablement ce  que vous en pensez. Le discours que vous avez avec la robe va beaucoup trop vite alors qu’un peintre, lorsqu’il fait une exposition, a plusieurs mois devant lui. Il peut voir, revoir son travail, retravailler.

Il y a aussi, sans doute, une différence entre un vêtement regardé lors d’un défilé et un vêtement exposé. Il y a un passage du mouvement au statique.
C’est le mobile et l’immobile. C’est vrai que l’objet à vendre – la robe – est immobile, posé dans le magasin. C’est très ambigu, très pervers. Un vêtement doit être non seulement désiré à plat, mais également désirable quand on le porte.
Quand je fais un pull par exemple, très souvent, il ne me convient pas à plat. Je crois devoir rajouter des ornements mais, en fait, ils ne servent à rien. Une fois le pull porté, je retire cette "rajouture". Il y a un décalage, il faut être très fort sur le plat et le porté.

Dans le Palais du Louvre, le Musée de la mode est en train d’être complètement restructuré. Avez-vous un avis sur la manière dont doivent être aménagés l’espace, la lumière, l’accrochage ?
Je suis incapable de répondre à une telle question. C’est un travail d’architecte, de metteur en scène. Chaque fois que l’on a besoin "d’exhibitionner" quelque chose, on ne sait jamais comment le faire. Il faut un vrai spécialiste.

Revenons à Chalon-sur-Saône. Dans le cadre des actions contre l’exclusion, le ministre de la Culture, Philippe Douste-Blazy, a annoncé que vous alliez mener une expérience d’atelier avec des lycéens. Pouvez-vous nous en parler ?
Je ne tiens pas en parler, car je ne veux pas que l’on fasse de la publicité autour de ce projet, d’autant plus qu’il est embryonnaire. Si je fais cette expérience, c’est parce que je dois la faire. Je le fais volontiers, mais je suis très très occupée. Je n’ai pas de temps. J’ai des enfants, des petits-enfants, une famille, un travail de mode qui me bouffe totalement, un travail d’écriture que j’adore, je participe à des tas de manifestations… Mais l’exclusion concerne tout le monde, et moi naturellement.

Parmi les expositions en cours à Paris, vous recommandez celle sur Sam Francis à la Galerie nationale du Jeu Paume.
Sam Francis est depuis longtemps l’un de mes peintres préférés. C’est un coloriste ahurissant, un fanatique du noir. Il a une manière de jouer avec les couleurs diabolique.

Son travail du noir est insensé.  Je dis souvent que si l’on se penche bien sur le noir, on voit les milliers de couleurs qu’il y a à l’intérieur, les nervures. C’est un coloriste qui tombe totalement avec moi. Les couleurs qu’il utilise sont les couleurs que j’aime. Je me souviens encore de son exposition à la Fondation Maeght, à Saint-Paul. J’ai aimé celle du Jeu de Paume et le film qui y était projeté.

Une exposition sur les collectioneurs privés français d’art moderne et contemporain vient de s’ouvrir. Êtes-vous collectionneuse ?
J’achète des œuvres d’art, mais je ne suis pas collectionneuse. J’aime beaucoup les portraits et j’adore les dessins. Je vais vous confier quelque chose : j’ai trois petites-filles ; depuis qu’elles sont nées, je leur offre un tableau pour leur anniversaire. Je trouve que c’est une jolie manière de le marquer.

Pensez-vous que si l’on aime une œuvre, il faille se l’approprier, l’acheter ?
Moi, j’ai plutôt un rapport avec le vol ! À chaque fois que je vois une exposition d’un peintre que j’aime, j’ai très envie de voler un tableau. Quand j’aime une œuvre, je me dis : je l’emporte.

Plusieurs photographes ont réalisé votre portrait. Avez-vous vu récemment des expositions de photographie qui vous aient marquée ?
J’adore la photographie, mais les expositions de photographie ne m’attirent pas vraiment. J’aime les très bons photographes : Turbeville, Sarah Moon, Issermann. La photographie, pour moi, c’est un portrait, un lieu, mais je n’ai pas totalement envie de m’y investir

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°21 du 1 janvier 1996, avec le titre suivant : Le mois vu par Sonia Rykiel

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