Le design tangue à Shanghaï

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 17 décembre 2004 - 832 mots

La mégalopole chinoise s’ouvre aux designers. Un lieu, la Fabrique, et une exposition, « Awakening : la France mandarine », y présentent le design français dans le cadre de l’Année de la France en Chine.

Shanghaï se piquerait-elle de design ? Ces dernières semaines, en effet, deux événements stimulent la mégalopole chinoise – 13 millions d’habitants –, dans le cadre de « L’Année de la France en Chine ». D’abord, un nouveau lieu a ouvert dans l’ancienne concession française, au sud du célèbre parc Fuxing. Son nom : « La Fabrique ». Il s’agit en fait de trois vieilles usines réhabilitées, dans lesquelles se sont installés, entre autres, un bar, un restaurant, une discothèque et un espace culturel. Le mobilier de ce dernier endroit, baptisé « La Ruche de la création » (1), a été conçu par la designeuse française Matali Crasset. Son projet, au nom barbare – « unYts#04 » –, est basé sur la lettre Y, qui, en idéogramme chinois, représente le corps humain. Crasset en a fait le fil conducteur de son mobilier, lequel évolue au gré de pliages tous azimuts : un fauteuil peut ainsi se transformer en pouf, table basse ou chaise longue.
Le second événement a lieu, lui, sur la très populaire place du Peuple, en plein centre-ville donc, dans le spacieux Musée de l’urbanisme. Déployée au deuxième étage de ce bâtiment récent (2000) – quoique la fraîcheur d’un édifice soit une valeur fugace dans ce chantier permanent qu’est Shanghaï –, l’exposition s’intitule « Awakening : la France mandarine ». Le postulat de départ de Pearl Lam, directrice de la Contrasts Gallery, à Hongkong, et commissaire de l’exposition (lire le JdA n° 204, 3 décembre 2004), est clair : « Les savoir-faire chinois disparaissant les uns après les autres, pourquoi ne pas les utiliser en les faisant entrer naturellement dans les besoins actuels de la société ? » Pearl Lam a donc demandé à une cinquantaine de designers chinois et européens – selon un décompte rigoureux : 26 dans chaque camp –, auxquels s’ajoutent dix stylistes de mode, de dessiner un objet, un meuble ou un vêtement, en s’appuyant sur les savoir-faire chinois existants : le travail de la porcelaine, le bois laqué, la sculpture du jade, l’impression sur soie...
Le résultat est décevant. D’abord, la scénographie – mélange de podiums-miroirs et d’éclairages indélicats – perturbe à l’envi la visite. Ensuite, la réalisation même des pièces manque sérieusement de qualité.
Côté chinois, le kitsch l’emporte haut la main. Ainsi en est-il du cheval à bascule Rocking de Li Ji, en bois et fibres de verre, orné de deux têtes de monstres, du fauteuil en métal Running Calligraphy de Shi Jianmin, des chaises gondolées en laque bleu China Blue de Lin Jing, ou encore des sièges en plastique Conversing with Pattern de Zhang Qingfang, qui singent la porcelaine de Chine à motifs d’encre bleue.
Côté européen, le résultat est plus contrasté. Plus les formes sont complexes, moins elles se révèlent séduisantes. Les branches en porcelaine de L’Arbre à sons de Matali Crasset sont « emboîtées » difficilement à gros joints de silicone. Idem, voire pire, avec le lampadaire-fleur Natural de Mattia Bonetti, dont les tiges de céramique sont maintenues par des liens de fortune faits de sacs en plastique... Quelques designers, néanmoins, s’en sortent de justesse : Vincent Dupont-Rougier et sa structure en bois laqué rouge Ice Broken, Andrée Putman avec le Wicker Woven Bag, petite gibecière en osier, Réna Dumas et sa table en bois laqué Casse-tête chinois, Christian Ghion enfin avec le Ratten Sofa, large siège en rotin trempé dans l’encre de Chine. De son côté, le Néerlandais Jurgen Bey propose un étonnant service à thé… taillé dans la pierre. Pour montrer que ses objets « émergent » bien du matériau, il a tout simplement demandé à l’artisan de laisser quelques fragments bruts. Histoire, sans doute, de bousculer une tradition qui polit la pierre dans ses moindres détails.
Au final, il semble que les designers chinois ne peuvent s’empêcher, pour l’heure, d’exhiber crânement leurs influences, sans parvenir à s’en détacher vraiment. Comme l’illustrent deux pièces absolument étranges, sinon emblématiques : une chaise de Barrie Ho, en inox et noyer, qui mixe « l’esthétique Ming au mobilier de Pierre Chareau ». Et mieux (ou pis, c’est selon), la King Chair de Shao Fan, un siège qui s’inspire à la fois « de la période Ming – pour la partie en orme sculpté – et de la Déconstruction chère au philosophe Jacques Derrida – pour la partie en contre-plaqué noir et lisse — » (sic). Excusez du peu.

(1) Le mobilier réalisé par Matali Crasset reste en place jusqu’au 31 décembre 2004. La Fabrique, The Bridge 8, Jian Guo Zhong Lu n° 8-10, Shanghaï. www.f2004shanghai.com
(2) « Awakening : la France mandarine », jusqu’au 6 janvier 2005. Shanghaï Urban Planning Exhibition Center, 100 Renmin Da Dao, Shanghai. Cette exposition ira ensuite à Pékin (mars 2005) et Hongkong (juillet 2005), avant de venir à Paris, en novembre 2005.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°205 du 17 décembre 2004, avec le titre suivant : Le design tangue à Shanghaï

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