Musée

Le centre du Centre

Par Christophe Domino · Le Journal des Arts

Le 17 novembre 2006 - 1113 mots

PARIS

Retour sur les circonstances et intentions d’un projet majeur pour le Paris du XXe siècle. Ou lorsque le Centre Pompidou devait « réinsérer l’art et la culture dans la vie ».

Juste un instant : sauriez-vous imaginer Paris sans Centre Pompidou ? Sans sa présence physique, son architecture de paquebot industriel ? Sans sa force d’attraction culturelle, touristique, symbolique ? Si son image est forte, son histoire est pourtant brève, à l’échelle de celle de la ville. La célébration en grande pompe d’un trentième anniversaire cachera plus ou moins bien le ralentissement d’activité et les difficultés budgétaires qui asphyxient la programmation. Les manifestations prévues pour fêter ces 30 ans tout au long de 2007 viennent d’ailleurs d’être considérablement réduites. 

Concentration d’excellence
Les archives mises à disposition grâce à Internet (www.centrepompidou.fr/rapports/archives/rapport) racontent, certes en termes de rapport officiel, comment s’est politiquement et administrativement construit le projet qui devient réalité en 1977. On y apprend ainsi que l’établissement public a été constitué en bonne et due forme en 1973, sous la direction du conseiller d’État Robert Bordaz et avec un organigramme où apparaissent des personnalités qui resteront longtemps attachées à l’institution : Pontus Hulten (lire p. 18), disparu il y a quelques semaines, mais aussi Germain Viatte (lire p. 18), Claude Mollard, Pierre Boulez, François Barré (lire p. 18), et encore Blaise Gauthier, Dominique Bozo, François Mathey. Ils incarnent déjà les orientations et les départements du Centre : l’Ircam (Institut de recherche et coordination Acoustique/Musique), le CCI (Centre de création industrielle) et bien sûr le Musée national d’art moderne (MNAM). Ce dernier est à l’étroit au Palais de Tokyo, dit alors « palais Wilson ». Selon une décision datant de 1968, c’est une bibliothèque qui doit occuper le plateau Beaubourg, quartier dont la démolition au titre de la salubrité publique est un fait acquis depuis 1937. Caressé par Malraux, un Musée du XXe siècle par Le Corbusier à la Défense est laissé de côté. Mais l’implication du président Pompidou relance un projet d’après un modèle américain (sic) qui serait à la fois musée et « centre de création » dévolu aux arts plastiques, à la musique, au livre et à la recherche audiovisuelle. Celui-ci est officialisé par un décret le 31 décembre 1971. Il s’agit d’associer au MNAM le Centre national d’art contemporain (CNAC), qui est déjà consacré à la « recherche, à l’expérimentation et à la recherche de nouveaux types de relation avec le public ». Le CCI sera ensuite créé comme un détachement de l’Union des arts décoratifs et un troisième lieu sera conféré à la Cinémathèque. Le projet ne prend décidément pas place sur une table rase et vise à la fois la « formation du public » et à jouer un « rôle dans la vie artistique internationale ». Référence est prise sur le Bauhaus pour la pluridisciplinarité et sur le Moderna Museet de Stockholm pour l’esprit de « musée de l’avenir ».
Le projet du Centre tente de retourner et de compenser l’inconvénient de la centralité par l’idée d’une excellence concentrée et disponible au plus grand nombre – l’espérance de fréquentation est alors de 10 000 personnes par jour. Cela n’a certes pas suffi à désamorcer le reproche de «parisianocentrisme », même si, aujourd’hui, la moyenne quotidienne s’élève à 17 000 visiteurs.

« Machine à communiquer »
Malgré les efforts de communication déployés alors, l’engagement des chantiers en 1972 alimente la boîte de Pandore des débats qui accompagneront les années de naissance du Centre, de l’allergie des uns pour l’architecture de Renzo Piano et Richard Rogers choisie en juillet 1971 (lire p. 17) à la critique institutionnelle dont la formule de l’« effet Beaubourg » – pour reprendre le titre de l’ouvrage de Jean Baudrillard paru en 1977 – donne le ton. Pendant ces cinq années de travaux, s’élabore une entité administrative singulière, hors de l’administration des musées et en rapport direct avec le ministère de la Culture et l’appareil de l’État, Assemblée nationale et gouvernement : un organigramme sur mesure, qui donne aujourd’hui encore son statut d’exception au Centre, confirmé par la loi de janvier 1975. Le président Robert Bordaz écrit la même année : « Les Muses, jadis unies, ont définitivement pris leur indépendance ; les artistes, jadis portés par un même élan que le peuple, se sont retirés dans leur tour d’ivoire qu’aujourd’hui ils préfèrent appeler “ghetto”. Le processus de la création, autrefois enraciné dans un fond culturel partagé, devient pour un public réduit à la contemplation passive des œuvres quelque chose d’impénétrable. » Une vision un rien millénariste, d’une noirceur particulière pour attendre du Centre annoncé qu’il permette de « réinsérer l’art et la culture dans la vie », précise encore Robert Bordaz. Et d’annoncer rien de moins qu’« une nouvelle Renaissance, une Renaissance faite de créativité et de communication auxquelles aspire avec tant de force notre société pour prendre enfin possession d’une de ses conquêtes majeures : les loisirs » ! Il dut y avoir quelque effroi dans les services, et cette vocation à s’inscrire sur l’horizon de l’industrie culturelle paraît bien frontale, mais au moins, le programme était tracé. Le Centre, « machine à communiquer » (sic), répond donc à un programme clairement inspiré par une volonté politique. Les départements se précisent, faisant apparaître un heureux souci partagé d’archivage, de documentation, de catalogage, au Musée avec la documentation, au CCI et bien sûr à la BPI (Bibliothèque publique d’information). La consolidation de l’organigramme et la mise en œuvre opérationnelle du Centre en février 1977 consacrent un processus politique dont l’ambition, vue à trente ans de distance, tous errements et contradictions mis à part, s’apparente en somme à une réussite, jusque dans sa résistance au rêve d’une équivalence loisir-culture. Une réussite qui cependant bute aujourd’hui sur un revirement profond des politiques en matière de culture. Cette volte-face se traduit par la limitation ou le plafonnement du soutien public, pris entre les réalités des progressions de coûts et celle des transformations de fait des ambitions de l’État en la matière. Là où le Premier ministre de 1975 fait preuve d’une belle continuité (n’est-il pas aujourd’hui président de la République ?), l’État qu’il incarne paraît en revanche bien en manquer.
Où sont aujourd’hui les élans politiques à la hauteur de ceux d’alors ? Se sont-ils dissous face à des projets de société où la culture ne compte plus guère, comme l’avère notre quotidien préélectoral ? Par sa structure et son histoire brève et dense, maison du peuple à l’échelle d’un palais princier, le Centre est au premier rang pour témoigner de mutations dont personne à ce jour ne connaît le dernier mot. Reste en attendant à se faire une joie de s’éclairer à la bougie. 30, exactement. 

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°247 du 17 novembre 2006, avec le titre suivant : Le centre du Centre

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