Laurence Berman

Architecture et design en première classe

Par Martine Robert · L'ŒIL

Le 2 août 2007 - 2017 mots

Directeur général de Jet tours, à l’origine du catalogue Secrets, Laurence Berman est passionnée d’architecture et de design. Elle nous invite à un voyage VIP dans les plus beaux hôtels du monde.

Sa brochure, Secrets, présentée à la Fiac, réunit des hôtels conçus par de grands architectes et décorés par les meilleurs designers : de Mies van der Rohe à Charles Rennie Mackintosh, d’I. M. Pei à Starck. Des temples du style dénichés aux quatre coins du monde, très contemporains ou de facture classique… Amatrice d’art et passionnée de déco, celle qui a redressé Jet tours en positionnant
l’entreprise sur le haut de gamme nous explique comment la création envahit l’hôtellerie de luxe.

« Comme tout ce qui compte dans la vie, un beau voyage est une œuvre d’art. » Cette citation d’André Suarès extraite du livre Le Voyage du condottière ouvre votre brochure haut de gamme baptisée Secrets, une sélection d’hôtels qui conjuguent luxe et design. Comment vous est venue l’idée de ce catalogue ?
Laurence Berman : Jet tours est positionné depuis près de quarante ans sur le voyage pour tout public. Initialement dans le giron d’Air France, la marque proposait du tourisme de masse avec ses hôtels clubs Eldorador dans des destinations proches.
J’ai cherché à redonner ses lettres de noblesse au voyage et à monter en gamme. Mais on ne s’improvise pas marque de luxe du jour au lendemain. Nous avons mué les Eldorador en hôtels de loisirs de qualité, nous avons proposé des voyages culturels, notamment en lien avec l’Unesco, des hôtels cinq étoiles avec spa, bref une offre plus raffinée, plus élégante.
Et quand j’ai lancé Secrets en 2004, l’entreprise avait déjà changé. J’ai éprouvé le besoin de nommer différemment notre brochure de voyages de luxe, qui se présente comme un livre sur l’art de voyager, car j’ai eu la volonté de porter un projet totalement original, d’inspiration personnelle. Je me passionne moi-même pour l’architecture et la décoration intérieure depuis quinze ans.

Executive woman diplômée de l’Essec, vous prenez à trente-six ans les rênes de Jet tours, qui accuse alors une perte de 5 millions d’euros. Vous redressez cette filiale du Club Med et Secrets séduit 2 000 happy few. Avez-vous conscience d’avoir tenté un pari osé sur fond d’attentats terroristes très déstabilisateurs pour le tourisme mondial ?
En créant Secrets, j’ai fait le lien entre un métier et une passion. J’ai constaté à quel point la décoration et le design ont envahi l’univers hôtelier.
Les clients ne veulent plus d’hôtels standardisés, c’est une tendance de fond. La sphère « intérieure » prend de l’importance, les personnes aisées recherchent un mode de voyage autre, une ambiance plus personnalisée, une plus grande authenticité écologique, des lieux de charme. Elles s’avèrent très sensibles au design, à la décoration intérieure, à l’architecture : elles veulent des « pattes », des « griffes ».

Comment avez-vous sélectionné les établissements du catalogue ?
Nous n’avons pas réalisé un catalogue exhaustif de ces établissements ultra-luxueux. Plutôt un choix d’hôtels à forte identité architecturale ou design, une sélection d’une centaine de lieux magiques, riches pour certains en objets d’art, car dans le giron d’amateurs, voire de collectionneurs. Ce choix a séduit les esthètes et les adeptes du cocooning, cette génération qui a créé des puces du design, des salons de la déco, des rééditions du mobilier créé par les plus grands artistes des cinquante dernières années…
Secrets surfe sur cette vague-là. Il est significatif que les designers les plus célèbres se mettent tous à décorer des hôtels, des restaurants, des boutiques.
Andrée Putman en a été l’initiatrice avec notamment l’hôtel Morgan de New York, qui a fait référence dans ce domaine au début des années quatre-vingt. De nombreux artistes ont suivi : Jacques Garcia est le décorateur attitré du groupe Barrière. Philippe Starck est intervenu au Café Costes, au Royalton ou à l’Hudson de New York, au Delano de Miami Beach, au Mondrian de Los Angeles… Pierre-Yves Rochon a réalisé le très couru Café des architectes au Sofitel Water Tower de Chicago conçu par Jean-Paul Viguier. Matali Crasset a été scénographe du Hi Hotel à Nice, Olivier Gagnère a décoré le Café Marly, Olivier Messel, familier de Buckingham, a « sévi » au Cotton House sur l’île Moustique, Jeffrey Bilhuber, créateur des intérieurs de Bowie et d’Hubert de Givenchy, a réinventé le 70 Park Ave de New York, Peter Marino a été sollicité par l’hôtel Bvlgari de Milan…
La haute couture est concernée à son tour par cet engouement : Versace a ouvert un Hotel Palazzo en Australie, Armani va concevoir des hôtels de luxe à Dubaï, Salvatore Ferragamo a signé en Italie des hôtels design, Ralph Lauren y vient… Les hôtels sont devenus un point de passage obligé pour les créateurs, et nous voulons faire la part belle à ces établissements-là.

Est-ce la raison pour laquelle vous présentez Secrets chaque automne à la Fiac, à Paris ?
Bien sûr, il y a une adéquation totale entre la clientèle que nous visons et les amateurs d’art en général, d’art contemporain et de design en particulier. D’ailleurs, certains objets de designers comme Garouste et Bonetti ou Starck sont devenus cultes alors qu’ils ont été créés il y a seulement six-sept ans, d’autres font partie de notre vie quotidienne comme la baignoire dessinée par Starck pour l’hôtel Touessrok sur l’île Maurice et reproduite par Jacob Delafon.
En fait, j’ai eu envie de faire un livre sur les arts décoratifs et le voyage : du design bois et béton du Vigilius Mountain au Tyrol, aux lignes symétriques et à l’habillage red ceddar du Casadelmar en Corse, en passant par le côté sixties inspiré de Pierre Cardin du Hillside Su d’Antalya ou encore par le style noucentista allié aux matériaux futuristes du Florida de Barcelone dans lequel trône une sculpture en fibre optique de vingt-sept mètres réalisée par l’artiste Ben Jacober.
La marraine de cette opération est India Mahdavi, designer reconnue internationalement. Son tabouret Bishop siège au musée des Arts décoratifs. Nous avons aussi intégré des photos de Norman Parkinson dans notre campagne publicitaire et de Richard Avedon dans notre catalogue car nous souhaitions un esthétisme très appuyé.

Êtes-vous d’accord avec la définition du designer que donne Andrée Putman : quelqu’un qui donne aux objets un supplément d’âme ?
Oui, bien sûr. Notre cartographie hôtelière pointe des lieux de création, d’émoi artistique. C’est le cas du Faena Hotel à Buenos Aires, la plus récente fantaisie baroque de Starck, qui déborde de mises en scène poétiques. « C’est la fleur sans parfum qu’un ouvrage sans style », philosophait Émile Deschamps. « La mode se démode, le style jamais », disait encore Coco Chanel.
On a tendance à réduire le design à un synonyme de contemporain ou d’original alors qu’il porte des valeurs d’esthétique, d’espace de vie, de confort, beaucoup plus larges. Chaque établissement sélectionné a ce supplément d’âme qu’on appelle le style, son univers artistique propre.
Par exemple, l’Hôtel de Rome à Berlin, situé dans l’ancien siège de la Dresdner Bank, s’inspire du grand maître néo-classique allemand Schinkel pour ne rien renier de l’histoire de l’art tout en
affirmant la modernité indispensable à une telle capitale. Le mobilier est d’une extrême sobriété, en verre et acier. Au Murano à Paris, les miroirs vénitiens, pampilles, sculptures contemporaines et lustres géants jouent un style pop et baroque qui tranche avec les chambres très contemporaines aux éclairages très étudiés. Le Continentale à Florence, à l’esprit minimaliste, allie le mobilier dessiné par l’architecte Michèle Bonan à des pièces originales du designer danois Arne Jacobsen ; pour appuyer l’ambiance dolce vita, sur les murs blancs optiques, des écrans projettent des grands classiques du cinéma italien. Le postmodern Four Seasons de New York, œuvre de I. M. Pei, multiplie les références à Le Corbusier, Fernand Léger ou Kandinsky.

Certains hôtels offrent-ils l’opportunité d’admirer des pièces particulièrement intéressantes ?
À Majorque, le Son Net, une maison de maître de 1672 prisée par la famille royale d’Espagne, le clan Kennedy ou Lauren Bacall, allie une décoration grand siècle et une collection d’œuvres étonnante où Marc Chagall côtoie Christo, Frank Stella, David Hockney et Andy Warhol.
Le Ca’ Pisani, installé dans un édifice vénitien du xvie siècle, est quant à lui influencé par les années 1930-1940 et le mouvement futuriste : les chaises de Mies van der Rohe ou les œuvres de Charles Rennie Mackintosh proviennent de la collection privée des propriétaires, les Serandrei. Des peintures de 1925 signées Fortunato Depero ornent le restaurant tandis que les chambres décorées par Roberto Luigi rendent hommage à Mondrian. Les lits sont des pièces uniques d’époque glanées à travers l’Italie.
Dès le hall du Gramercy Park de New York, des pièces d’art contemporain donnent l’impression d’entrer dans un atelier d’artiste. Ce pourrait être celui de Julian Schnabel, dont les créations complètent une collection signée Warhol, Basquiat, Hirst, Maarten Baas. À New Dehli, L’Imperial est un monument d’histoire très « Rule Britannia » avec son restaurant néo-classique où Kipling avait ses habitudes, son musée fascinant, les antiquités et gravures anciennes qui meublent ses chambres coloniales. Au Fuchun Resort de Hangzou, on a le sentiment d’entrer dans le célèbre tableau Habiter sur les montagnes Fuchun, œuvre de la dynastie des Yuan, ces peintres emmenés par Huang Gongwang devenus les premiers impressionnistes de l’Empire du Milieu. Laques et objets d’Art déco chinois des années vingt ornent ce palais dont les formes architecturales semblent dessinées à l’encre de Chine.

En matière d’art, que préférez-vous ?
J’ai un goût particulier pour l’Asie et l’Inde. J’aime la période Moghol au sens large, des palais de maharadjahs aux objets d’art. Cet art produit en Inde sous la dynastie des Grands Moghols, durant trois siècles, de 1528 à 1858 : les statuettes en marbre ou en bois, les miniatures, ces reproductions sur papier qui représentent des scènes avec les princesses ou les maharadjahs, comme des mariages avec des processions sur des palanquins.
Lors de six ou sept voyages en Inde, notamment au Rajasthan, je me suis constitué une collection de sculptures et de miniatures des xviiie et xixe siècles. J’ai également des objets en fer comme des poids de balance en forme d’éléphant.

Êtes-vous collectionneuse ?
Si j’en avais les moyens ! Je possède cependant une collection birmane, des bouddhas anciens en bois peint du XVIIIe. J’ai investi dans quelques meubles anciens d’origine britannique, une bibliothèque du xixe en acajou, un secrétaire Charles X, acquis chez des antiquaires, que je mélange avec du contemporain.

Quels sont les créateurs contemporains que vous admirez ?
J’apprécie le travail de Jean-Michel Wilmotte en stylisme d’intérieur, ses contrastes entre du mobilier sombre et des sources de lumière. Et l’architecte Frank Gehry, que j’ai eu l’occasion de rencontrer : il a notamment réalisé le Walt Disney Concert Hall de Los Angeles et le festival Disney à Marne-la-Vallée. Le minimalisme de Christian Liaigre, architecte d’intérieur qui a décoré le bar du Select à Saint-Barthélemy ou l’hôtel Mercer à Soho, mais aussi l’appartement de nombreux artistes, allie naturel et sophistication. Il joue avec le bois, les essences exotiques, les tons bruns, gris, taupe… et illustre comment le design, enfant de l’école du Bauhaus, a su débarrasser l’art dit décoratif de toute forme superflue.
Je suis amatrice également des bijoux de haute joaillerie de créatrices comme Victoria Casal, Marie-Hélène de Taillac.

Et en peinture, vers quels artistes vont vos goûts ?
J’aime l’abstraction, Nicolas de Staël ou Rothko, les aplats de couleurs, leur façon de dépeindre le monde.

Parmi les musées que vous avez visités durant vos pérégrinations, quel est votre favori ?
J’adore le MoMA de New York depuis qu’il a réouvert, son agencement, sa mise en lumière. Et, bien sûr, le musée Guimet, fabuleux en matière d’art khmer ou birman. Tout ce que j’aime !

Biographie

1965 Naissance de Laurence Clément à Fontenay-sous-Bois, dans le Val-de-Marne. 1986-1987 Elle obtient le diplôme de l’ESSEC et, l’année suivante, un MBA à l’université de Chicago. 1993 Mariage avec Thierry Berman, chef d’entreprise. 1996 Directeur général de Disneyland Paris vacances. 2001 À 36 ans, elle prend la direction de Jet Tours et devient membre du comité exécutif du Club Méditerranée. 2004 Chaque année, elle présente à la Fiac Secret, un catalogue d’hôtels design de luxe.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°589 du 1 mars 2007, avec le titre suivant : Laurence Berman

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