Mémorial - Politique culturelle

La Guadeloupe épinglée pour sa gestion du Memorial ACTe

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 29 novembre 2023 - 749 mots

La Cour des comptes note de graves irrégularités de la part de la Région dans sa gestion et sa gouvernance du Mémorial pour l’esclavage.

Guadeloupe. En novembre 2022, le conseil d’administration du Mémorial ACTe (MACTe) et le conseil régional de Guadeloupe avaient reçu une évaluation très sévère de la part de l’Inspection générale des affaires culturelles (IGAC), dont le rapport s’intitulait : « Un bilan décevant, un avenir à construire ». L’inspection portait notamment sur la période inaugurée en 2019, lorsque le Mémorial qui était une société d’exploitation mixte est devenu un Établissement public de coopération culturel (EPCC), autonome de la Région. « L’affaiblissement des quatre dernières années hypothèque l’avenir même de l’établissement », estimait alors l’IGAC. Un an plus tard, c’est au tour de la Cour des comptes de livrer ses observations, tout aussi sévères.

Dans ces deux rapports, le conflit ouvert entre la directrice générale du MACTe, la conservatrice du patrimoine Laurella Rinçon, et le conseil d’administration dirigé par Ary Chalus, président du conseil régional, est mentionné comme un handicap majeur pour l’établissement. À l’origine de ce feuilleton s’étalant sur plusieurs années, se trouve un signalement au procureur de la République effectué par la directrice en 2021, à propos de recettes directement encaissées par la Région bien que le Mémorial soit, depuis 2019, un établissement public à caractère industriel et commercial, et donc indépendant de la collectivité territoriale.

Ingérences de la Région

Définitivement écartée de la direction depuis août 2023, après une première tentative du conseil d’administration, annulée par le tribunal administratif, Laurella Rinçon est remplacée par une fonctionnaire de la Région, Manuella Moutou, nommée directrice par intérim. Si ce départ met un point final à un conflit paralysant le fonctionnement du Mémorial, la Cour des comptes note bien d’autres désordres dans la gestion et la gouvernance de l’établissement. Les magistrats décrivent ainsi une ingérence globale de la Région dans l’EPCC. La collectivité signe ainsi des conventions d’occupation du domaine du MACTe (comme lors de l’arrivée de la Route du Rhum 2022) ou des conventions d’éducation artistique et culturelle à la place de l’établissement.

La Région prend également en charge une partie considérable des dépenses de l’établissement, s’élevant à 3 millions d’euros pour l’exercice 2022. Une ingérence qui permet au MACTe de présenter un résultat budgétaire positif, de manière fallacieuse : entre 2019 et 2022, la Cour des comptes calcule une différence de 8 millions d’euros entre les comptes apparents de l’établissement, et leur version corrigée en tenant compte des dépenses de la Région.

Depuis sa transformation en EPCC, le Mémorial ne s’est toujours pas doté d’un conseil scientifique (pourtant recommandé par l’IGAC), et ne dispose donc pas d’un Projet scientifique et culturel. L’organigramme du musée est également inexistant, et la définition des postes et responsabilités de chacun est très floue : une situation exacerbée par un recours massif, et injustifié, au contrat de travail à durée déterminée (CDD). Le conseil d’administration lui-même est irrégulier : aucun représentant du personnel n’y siège, faute d’élections. Affectant le bon fonctionnement du Mémorial, ces carences dans les instances font aussi peser des risques juridiques sur l’établissement.

Vers un troisième changement de statut

Ce tableau très sombre pèse sur les ambitions du MACTe formulées à sa création en 2015. La Cour des comptes note que l’objectif de devenir un pôle international de la recherche sur le commerce triangulaire et l’esclavage est très loin d’être atteint, et que même les missions de diffusion sont largement contraintes par la situation du musée. Entre 2019 et 2022, le MACTe a été fermé 40 % du temps. Les partenariats noués avec d’autres institutions (muséales, universitaires, etc.) donnent l’image d’un établissement replié sur lui-même, bien loin du pôle de référence envisagé au départ.

Les ressources propres de l’établissement sont très peu développées : les nombreux espaces dont la location peut être valorisée sont mis à disposition à titre gratuit, et le Mémorial n’a pas touché la redevance du restaurant installé dans ses murs depuis 2019. En 2022, seuls 2 % des recettes totales provenaient de l’exploitation commerciale des lieux, un chiffre remettant en cause le statut d’EPCC du Mémorial. Le rapport de l’IGAC mentionnait, en 2022, le projet de transformer le Mémorial en un établissement public administratif : un troisième changement de statut en moins de dix ans qui permettrait de renforcer le pouvoir du conseil d’administration, mais aussi de « prévenir des observations éventuelles de la Cour régionale des comptes sur le fait que le caractère industriel et commercial […] n’est pas confirmé au vu des premières années d’activité » : trop tard.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°622 du 1 décembre 2023, avec le titre suivant : La Guadeloupe épinglée pour sa gestion du Memorial ACTe

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