Il se passe enfin quelque chose au Royaume du Danemark…

Cinq expositions ouvrent leurs portes chaque jour à Copenhague et aux alentours

Le Journal des Arts

Le 1 mai 1996 - 995 mots

Capitale européenne de la Culture 1996, Copenhague aura investi cette année l’équivalent de 900 millions de francs dans la Culture… sans pour autant que les principaux équipements prévus pour l’occasion soient achevés à temps. Torben Weirup, responsable de la rubrique Beaux-arts au journal Berlingske Tidende, s’interroge sur les bienfaits d’une année consacrée à l’art, par la grâce de l’Union européenne, et dresse un bilan mitigé de la politique culturelle danoise.

Copenhague semble enfin parvenue à assumer son rôle de capitale européenne de la Culture 1996, grâce aux efforts conjugués de son maître d’œuvre, le Gallois Trevor Davies, et de tous ceux qui sont directement concernés par le succès de cette initiative européenne étrange, où les intérêts des artistes locaux rejoignent ceux du tourisme, des affaires… et de la bureaucratie. Néanmoins, ses organisateurs devront se montrer vigilants pour garantir la qualité de la manifestation, car, par malheur, dans le Danemark d’aujourd’hui, nombreux sont ceux qui se sentent une "âme d’artiste". En vertu de quoi, beaucoup renoncent à tout esprit critique et n’hésitent pas à exposer leurs travaux dans des galeries peu scrupuleuses, et un peu partout ailleurs. Le pays semble produire de l’art en abondance, mais uniquement dans la mesure où ce vocable regroupe indifféremment l’amateurisme et l’art véritable.

Les autorités ayant soutenu généreusement cette production, caressant l’espoir d’apporter par ce biais une réponse partielle aux problèmes sociaux, les ressources financières à destination des artistes dignes de ce nom se sont amoindries d’autant. À la longue, ce processus a même entraîné toute une génération de quadragénaires à croire que la "vie d’artiste" pourrait leur faire oublier leur morne existence.

L’art comme complément vitaminé
La politique culturelle danoise souffre depuis longtemps d’une tendance à la démagogie : le Musée national des beaux-arts n’a-t-il pas choisi d’exposer, dans les circonstances présentes, les robes d’un grand styliste danois à côté de plusieurs œuvres majeures de ses propres collections ? L’art est vu comme le complément vitaminé de l’activité mentale et, de l’avis de certains, attirer une foule de visiteurs est un critère de qualité. C’est pourquoi, au sein de la sphère culturelle, des sommes relativement importantes sont dépensées pour financer les intermédiaires plutôt que les artistes eux-mêmes. Cette propension à faire de l’art une "success story" s’est accentuée avec la nomination à la Culture du ministre social-démocrate Jytte Hilden, mais, pour être tout à fait honnête, cette inclination à propager l’art et la culture dans la fraction la plus large possible de la population existait avant son arrivée aux affaires. Il faut reconnaître en outre qu’il a su mobiliser d’importants moyens dont les artistes ont pu également profiter.

Car le Danemark s’honore d’une longue tradition de soutien aux arts. Le meilleur de la production artistique danoise est ainsi encouragé par une politique d’acquisitions et de commandes menée par une commission déléguée, dirigée par des artistes, sous l’égide du Fonds national pour les arts. Même si, de l’aveu général, cette aide est insuffisante et ne permet pas véritablement aux artistes danois de vivre de leur art, la commission en a trop fait au cours des dernières décennies : comme si tout le monde devait être artiste et l’art partout présent. Il en a résulté une profusion d’œuvres médiocres à chaque coin de rue de Copen­hague : à quelques exceptions près, elles sont la honte de la capitale danoise.

Participation des principaux musées de la région
Cette année, dans le seul domaine des arts plastiques, une moyenne de cinq expositions ouvriront chaque jour leurs portes dans la capitale et aux alentours. En effet, la plupart des principaux musées de la région ont été associés à l’événement, encore qu’il s’agisse en toute hypothèse de sauver les apparences, d’accomplir un devoir patriotique, ou de profiter de la publicité pour en retirer quelques bénéfices. Car tout porte à croire que seuls les grands musées danois seront au rendez-vous de la qualité artistique : le Louisiana Museum, à Humlebaeck, la nouvelle Ny Carlsberg Glyp­to­tek, le Musée national des beaux-arts, la Collection Hirschprung, ainsi qu’une série de musées et d’espaces d’expositions plus mo­destes, épaulés par les principales galeries de Copenhague.

"NowHere", l’exposition d’art contemporain actuellement au Louisiana, est la première grande initiative du nouveau directeur du musée, Lars Nittve, qui a fait la preuve de son talent lorsqu’il était conservateur du Rooseum à Malmö. L’exposition de cet automne aura pour thème Picasso et la Méditerranée, une idée du fondateur du musée, Knut W. Jensen, qui continue à jouer un rôle de premier plan dans la vie artistique danoise, malgré son âge avancé. Par ailleurs, le Musée national des beaux-arts présente jusqu’au 5 mai un ensemble important de dessins et gravures de Rembrandt, ainsi qu’une superbe exposition de peintures de Christen Købke (1810-1848) [dont le Musée du Louvre a récemment acquis le Portrait d’Adolphine Petersen Købke (lire JdA n° 21, janvier 1996)], indiscutablement le plus grand maître de l’"âge d’or danois".

Presque aucun des bâtiments n’a été achevé
En définitive, "Copenhague 96" a donné l’occasion à la ville de faire quelque chose pour elle-même, et la capitale danoise a suscité un intérêt dont elle avait été privée depuis longtemps. Elle n’aura malheureusement pas le sentiment du devoir accompli : presque aucune des constructions à vocation culturelle n’a été achevée à temps. De toute façon, il eut été absurde de bâcler des travaux coûtant des milliards de couronnes dans le seul but d’accueillir les touristes dès cette année, pour les fermer une fois les manifestations terminées et les utiliser à d’autres fins. Quelques projets seront néanmoins terminés en temps voulu, tels que l’extension (quasi invisible) de la nouvelle Ny Carlsberg Glyptotek, dans la cour intérieure du musée, et L’Arche, le splendide musée, au sud de Copenhague (lire notre article), signé par Søren Robert Lund, un architecte relativement jeune et particulièrement doué. Paradoxa­lement, cet édifice séduisant et puissant, conçu pour l’art de notre époque et l’idée que nous nous en faisons, a choisi d’accueillir pour son exposition inaugurale la rétrospective Emil Nolde présentée cet hiver à la Whitechapel Art Gallery de Londres.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°25 du 1 mai 1996, avec le titre suivant : Il se passe enfin quelque chose au Royaume du Danemark…

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