Friche de création contemporaine

L’intervention économe de Lacaton & Vassal

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 11 janvier 2002 - 951 mots

Choisis en décembre 1999 pour mener
à bien la transformation de l’aile ouest du Palais de Tokyo en Site de création contemporaine, les architectes Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal livrent, en moins de dix mois de travaux, une réhabilitation en forme de réflexion sur l’économie de l’architecture.
Le résultat est éblouissant.

Qui aurait pu imaginer que derrière la monumentale façade de l’aile ouest du Palais de Tokyo, à Paris, se cachait... une friche industrielle ? Personne, sauf un couple d’architectes bordelais, Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal, qui dès sa première visite dans les lieux, en 1999, découvre “un bâtiment écorché, à la fois angoissant et beau”. L’espace est alors totalement dépouillé. Cloisonnements, faux plafonds et éléments décoratifs ont été démolis lors d’un précédent chantier (1). Bref, ne subsiste de ce palais, édifié par le quatuor académique Aubert/Dondel/Viard/Dastugue pour l’Exposition internationale de 1937, qu’une carcasse à l’état brut.
Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal vont “prendre le lieu tel quel” et, comme à leur l’habitude, “y aller à l’économie”. D’autant que l’enveloppe dévolue aux travaux n’est pas très dodue : 3 625 millions d’euros TTC (23,78 millions de francs), soit environ 381 euros HT (2 500 francs) le mètre carré. Leur approche sera donc on ne peut plus pragmatique : “Le budget ne nous permettait pas d’œuvrer sur chaque mètre carré, remarque Jean-Philippe Vassal. Nous avons donc préféré cibler nos interventions et résoudre en particulier les problèmes de structure et de mise aux normes de sécurité.” Ainsi, pour préserver les belles et imposantes hauteurs des volumes intérieurs, les deux architectes vont d’abord rigidifier certains poteaux existants, voire en couler de nouveaux ponctuellement, puis stabiliser le sol par une dalle suffisamment épaisse pour qu’elle puisse supporter de lourdes charges, œuvres ou engins de manutention. Par petites touches quasi invisibles mais justes, Lacaton & Vassal s’attachent en fait à révéler les qualités intrinsèques du lieu, comme cet ingénieux système de fenêtres hautes conçu dès l’origine pour éclairer naturellement la plus grande surface possible de cimaises mais qui était jusqu’alors entièrement dissimulé par des faux plafonds. Comme ce marbre d’époque, gris et lumineux, qui habille l’escalier, enfin décloisonné, menant à l’étage. Comme ces murs à vif ou ces ferraillages apparents. “Nous ne voulions pas que ce lieu ressemble à un Frigidaire tout blanc, observe Jean-Philippe Vassal, mais au contraire qu’il montre que des choses s’y sont petit à petit amoncelées, et qu’elles vont d’ailleurs au fil du temps continuer à s’amonceler.” “Il fallait aussi que le public puisse lire ces diverses accumulations”, ajoute-t-il.
Mais Lacaton & Vassal doivent aussi inventer moult astuces afin de ne pas dépasser l’enveloppe impartie. Pour le chauffage, ils choisissent de banals aérothermes, ces appareils à air pulsé habituellement utilisés dans les locaux industriels, et pour l’éclairage, une batterie de néons fluo tous identiques. Tout est sans cesse pesé, rigoureusement pensé. Pas de fioritures. D’où, par exemple, l’abandon, sous la vaste verrière, d’une climatisation lourde et forcément coûteuse en faveur d’une ventilation inspirée de celle des serres horticoles : un faîtage ouvrant et des vélums amovibles. De l’art de la débrouille en architecture.

Sentir la présence de la ville
Le nouveau Site de création contemporaine – 8 700 m2 dont 5 000 m2 accessible au public – est résolument un lieu ouvert : “Nous avons augmenté la porosité de l’édifice avec l’extérieur, explique Jean-Philippe Vassal. À travers les vitres, on peut aujourd’hui regarder les passants, les voitures, le marché hebdomadaire... En clair, on peut sentir la présence de la ville.” Outre l’entrée sur l’angle, l’accès se fait désormais également par le parvis, face au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, ou directement par l’avenue du Président-Wilson grâce à deux passerelles métalliques. “L’espace doit être aussi fluide qu’à l’intérieur d’un hall de gare, estime l’architecte : un passage facile où l’on n’est pas immédiatement assailli par une billetterie.” D’ailleurs, à l’instar d’un hall de gare, on trouve quelques “échoppes” : une boutique, une librairie, un bar et un restaurant (2). Le visiteur peut déambuler à son gré, assister, le cas échéant, au montage ou au démontage d’une œuvre. “L’idée est que ce lieu expérimental où l’on montre la création actuelle devienne un espace de liberté, un endroit très vivant qui pourrait changer de visage d’une exposition à l’autre, et peut-être même entre midi et minuit”, raconte Jean-Philippe Vassal.
Au moment du concours, les architectes avaient fait amplement référence à la place Djemaa el-Fna, à Marrakech, véritable “théâtre” de plein air au spectacle continu où se rassemblent charmeurs de serpents, acrobates et autres marchands du Temple. “Une place qui se dessine et se modifie tout au long du jour et de la nuit et où le public et les artistes évoluent librement, n’est-ce pas exactement l’objectif recherché ?”, sourit Jean-Philippe Vassal. En arabe, Djemaa el-Fna signifie “assemblée des morts”... Le nouveau Site de création contemporaine, on l’aura compris, a lui pris fait et cause pour les vivants.

(1) En 1993, le ministère de la Culture et de la Communication avait envisagé d’installer, dans l’aile ouest du Palais de Tokyo, un Palais du cinéma, qui devait réunir le Musée du cinéma, une école de cinéma (la Fémis), une bibliothèque et les archives du film. Alors que d’importants travaux avaient déjà commencé, le projet, confié à l’architecte Franck Hamoutène, fut interrompu, puis, en 1995, définitivement abandonné.
(2) Confié à l’architecte Stéphane Maupin, le restaurant de 120 couverts ne devrait, pour cause de changement de concessionnaire de dernière minute, être, le jour de l’inauguration, qu’une version provisoire. En revanche, le choix de son chef, lui, est définitif : il s’agit de Bernard Leprince, un ex-assistant de Pierre Gagnère, qui est en charge d’élaborer une carte accessible à toutes les bourses : de 50 à 500 F.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°140 du 11 janvier 2002, avec le titre suivant : Friche de création contemporaine

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