Architecture

Couleurs garanties

Par Gilles de Bure · Le Journal des Arts

Le 26 septembre 2003 - 659 mots

Un nouvel équipement universitaire, géré par le CROUS, vient de voir le jour à Paris, rue du Colonel-Pierre-Avia (15e arr.). Un ensemble de 164 logements, signé Nasrine Seraji, où domine “le chant puissant des couleurs”? cher à Le Corbusier.

Drôle d’endroit pour une sinécure... L’histoire se situe au-delà du périphérique, dans une sorte de no man’s land néanmoins très fréquenté, aux marches du 15e arrondissement de Paris et de la plaine d’Issy-les-Moulineaux.
À main droite, l’héliport de Paris et son ballet de gros bourdons bruyants. À main gauche, le Parc des Expositions de la porte de Versailles et ses incessants va-et-vient de semi-remorques. Pleine face, des alignements d’immeubles de verre réfléchissant, dits “de standing”, à usage professionnel et d’une affligeante misère stylistique, et l’énorme masse pataude de l’Aquaboulevard...
C’est là, au milieu de ce nulle part, que l’architecte Nasrine Seraji a édifié 164 logements pleins d’esprit qu’autant étudiants prennent possession en ce mois de septembre 2003.
Dès l’entrée, le ton est donné. L’asphalte pénètre le bâtiment, ancrant véritablement le lieu dans sa réalité urbaine. Les murs sont de béton brut ou coloré, le tout organisé dans une scansion savante. Des couleurs très “africaines”, à la fois subtiles et franches, infiniment travaillées et où se mêlent des verts et des jaunes, des orange et des fuchsias, des rouge vif et des gris métallique. Insérés dans les piles de béton, des néons roses et rouges accentuent encore cette atmosphère où domine la couleur, toutes les couleurs. Et, tout au long des huit niveaux, cette symphonie polychrome va se déployer d’un couloir l’autre, d’un logement l’autre.
C’est bien évidemment cette sensation-là qui prime lorsqu’on arpente l’architecture de Nasrine Seraji. Cette mise en couleur que viennent ponctuer une foule de petits détails, à l’image de ces niches creusées dans le béton – tels les boulins d’un colombier – et fermées par des briques de verre coloré ; à l’image encore de ces tubes de néon rouge qui créent le mystère au fil des couloirs, lequel mystère disparaît dès lors qu’on actionne la minuterie. À cette première impression se superpose celle d’un grand silence. C’est que l’architecte, pour assurer le confort acoustique de tous les locaux, a voulu que tous les voiles en béton du bâtiment, y compris les séparatifs entre les chambres, soient porteurs. Le résultat est garanti. En outre, dans les immeubles de logements pour étudiants, les studios, équipés de leur salle d’eau et de leur kitchenette, sont d’une affligeante répétitivité. Rien de tel ici. Certes, le jeu des couleurs et des détails, les larges ouvertures sur la rue ou sur le jardin y sont pour beaucoup. Mais, surtout, pour s’affranchir de l’uniformité, Nasrine Seraji a imaginé seize plans différents pour les 164 logements. Ainsi, aucun des heureux étudiants attributaires d’un logement rue du Colonel-Pierre-Avia n’aura le sentiment d’habiter chez son voisin.
Et puis là-haut, au huitième niveau, se regroupent les espaces communs. Une laverie et un lounge, toujours polychromes, conjugués l’un à l’autre pour mieux créer la convivialité, organiser la rencontre et l’échange. Le tout prolongé par une vaste terrasse aux gradins de bois et qui domine le sud de Paris.
Née en Iran, étudiante à l’Architectural Association School de Londres, âgée de 45 ans, Nasrine Seraji vit et travaille à Paris tout en dirigeant le département d’Architecture de l’université de Princetown à Ithaca, dans l’état de New York, aux États-Unis. Elle s’est notamment fait connaître en remportant le concours pour le Centre culturel américain provisoire rue de Bercy à Paris en 1991. Et grâce à l’édification du pavillon d’accueil de la caverne du Dragon au chemin des Dames, dans l’Aisne, en 1998, comme d’un immeuble de logements à Vienne, en Autriche, cette même année.
Avec la résidence étudiante, elle frappe un grand coup. Notamment avec la façade nord du bâtiment, à la surface lisse, brillante, revêtue de pâte de verre et ponctuée de minces balcons de profondeur variable et qui semblent autant de plongeoirs orientés vers la piscine de l’Aquaboulevard.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°177 du 26 septembre 2003, avec le titre suivant : Couleurs garanties

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