Art contemporain

Buren vu par les jeunes artistes

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 1 avril 2005 - 849 mots

L’œuvre de l’artiste continue d’influencer les nouvelles générations de plasticiens. De Claude Lévêque à Nicolas Chardon, regards et réflexions de quelques-uns d’entre eux sur son travail.

A la question de savoir s’il y a une « leçon de Buren », la réponse semble évidente : « Peu de jeunes artistes n’ont pas regardé Daniel Buren, comme tient à le signaler en préambule Guillaume Leblon. L’héritage est clair : le rapport à l’architecture, l’in situ, une façon de travailler sur le lieu. Mais ce qui m’intéresse particulièrement est sa capacité à infiltrer, à parasiter, comme en 1983 avec “Exposition/Diffusion”, où il parasitait le décor du journal télévisé de France 3 Bourgogne. Mais il y a aussi quelque chose de troublant. C’est une œuvre qui jouait sur la disparition et qui, avec la multiplication des commandes publiques – je pense à Lyon, par exemple –, est désormais extrêmement présente. » Difficile de ne pas s’y frotter, tant Daniel Buren a marqué le paysage artistique – et le paysage tout court – contemporain.
C’est après que les avis divergent. Regarder quoi et comment ? Là, c’est bien une histoire de contexte. « Buren c’est aussi la stratégie de la “ réponse” face à l’institution, explique Franck Scurti, qui a été l’un des artistes boursiers de l’Institut des hautes études en arts plastiques, à Paris, dirigé de 1988 à 1995 par Ponthus Hulten et où Daniel Buren jouait un rôle central. La réponse, telle qu’elle était pratiquée à ce moment-là, était en partie fondée sur la croyance que la société laisserait une marge de liberté d’expression à ceux qui la critiquent et qu’elle aurait toujours la capacité d’intégrer ce qui se présente, à tort ou à raison, comme sa négation. Mais c’était les années 1960-1970. C’était alors une position tenable et du coup il y eut de vraies “crises”. Aujourd’hui, ce n’est plus possible. Les artistes qui pratiquent la réponse face à l’institution en ont fait un métier. De même, l’in situ pratiqué par Buren a été un des territoires les plus mal compris. Il a donné des générations de décorateurs, d’installations poétiques ou critiques. L’in situ est devenu une forme, un peu comme l’usage du ready-made ».
Et le mouvement est général, puisqu’il concerne aussi l’« outil visuel » de Daniel Buren, ces bandes colorées de 8,7 cm, désormais à placer dans un répertoire iconographique, fût-il celui de l’abstraction géométrique. « Le travail de Daniel Buren a bien entendu été important dans la construction de mon propre travail, note Nicolas Chardon. Mais contrairement à ce qu’on pourrait croire, je n’ai jamais pensé prioritairement à Buren au moment de choisir des tissus comme support de ma peinture, même si, en fin de compte, ce choix relève en partie d’une analyse assez proche ; partir d’un tableau ready-made et peindre dessus. La différence étant alors que Buren pouvait croire, en 1966, que les bandes blanches peintes marquaient un “degré zéro”, quand je savais, en 1998, que la moindre trace que je pouvais peindre serait d’abord une image. Cependant, c’est bien la même histoire qui continue. »

Radicalité souple
Bien que toujours sous-jacentes, la déconstruction et la critique chères au projet de Daniel Buren semblent avoir été contrebalancées ces dix dernières années par des recherches plus visuelles, spatiales, environnementales. « Daniel Buren est plus architecte que les architectes, estime Claude Lévêque. En se renouvelant, son travail a fait une place prépondérante à ce propos. Nos travaux sont opposés, mais il y a des paradoxes dans cette opposition. Par rapport à Buren, je suis baroque. Le travail autour de l’objet, du sentiment, de l’affect est une composante de mon œuvre et cela est totalement absent chez Buren. Mais si l’on revient aux origines de son œuvre, il y a un travail sur le baroque, le décor. Un autre point est que j’ai toujours été réservé sur l’idée d’une œuvre comme lieu d’échange, d’interaction, de transmission, d’“esthétique relationnelle” pour faire vite, et je pense que Buren est là-dedans. »
À mesure que Daniel Buren est rentré dans l’horizon optique quotidien, celui-ci a commencé à varier et à moduler son œuvre, tout en prêtant ainsi le flanc à de nouvelles lectures, à l’image, en 2002, du « Musée qui n’existait pas » au Centre Pompidou, à Paris. La critique a accompagné cette exposition rétrospective des mots doux mais justes de « coloriste » et « décoratif » qui, s’ils auraient fait frémir il y a peu, permettent aussi d’intégrer Buren dans des généalogies diverses. « On parle de radicalité pour désigner l’art de cette génération (Buren, Toroni, Parmentier, Ryman, Rutault…), tempère Nicolas Chardon. J’ai l’impression qu’aujourd’hui ça paraît péjoratif de le dire ! On sauve alors un Buren spectaculaire et “décorateur” qui serait le papa des Gillick, Pardo et consorts. Je n’y crois pas du tout et j’admire au contraire la formidable souplesse que Buren a su donner à ses outils, sans pourtant jamais abandonner une économie de moyens qui rend son travail toujours insoumis aux lois de la production et du marché. Et cette radicalité souple a pour moi valeur d’exemple. »

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°212 du 1 avril 2005, avec le titre suivant : Buren vu par les jeunes artistes

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